4 mai > Premier roman Royaume-Uni > Alice Adams

Les années passent mais certaines saisons ne passent pas. Leurs lumineux souvenirs reviennent en flashs impromptus, alors qu’on est déjà installé dans une autre vie. Cette saison-là était heureuse comme ces fins d’année où les grandes vacances commencent et où on laisse derrière soi ces heures de bavardage sans fin au café ou de bachotage en "bibli", ce no man’s land d’existence en sursis entre préparation des examens et rêve de parcours professionnel. Bristol, été 1995, Eva est allongée dans l’herbe, "la sensation du soleil sur sa peau", "l’épaule de Lucien sous sa tête", qui tourne un peu à cause de l’intimité et du vin. Ce moment, Eva, l’héroïne d’Un été invincible, le premier roman d’Alice Adams, se le rappellera toujours. Deux filles, elle et Sylvie ; deux garçons, Lucien, le frère de Sylvie pour qui elle en pince, et Benedict : les quatre amis, sur une couverture presque en haut de Brandon Hill, avec vue imprenable sur la ville, des bouteilles à leurs pieds, au-dessus d’eux le ciel bleu et l’avenir sans nuage. Le soleil pour Sylvie et Lucien qui endossent leur sac à dos : c’est destination Goa. Pour Benedict, c’est plutôt l’ombre des labos : il a préféré prolonger sa vie d’étudiant en se plongeant dans la recherche pour son doctorat de physique. Mais aussi un peu le soleil : cet été-là, Benedict invite Eva à Corfou, chez ses parents qui y possèdent une villa. Eva troque bientôt ses tenues de baba cool et ses Dr. Martens contre les tailleurs stricts de career woman à Londres. Quoique cette fille d’universitaire désargenté sait très bien que, au fond d’elle-même, elle n’appartient pas à ce monde de squales : "Elle avait bien conscience que la City était plus portée à la rivalité à peine dissimulée qu’à la camaraderie. L’année écoulée […] avait été chargée mais aussi empreinte d’une certaine solitude." Le quatuor se rencontre régulièrement. Il s’est réuni à une soirée que le beau Lucien, DJ ad hoc, a organisée dans le quartier alternatif de Vauxhall en 1999. L’été suivant, tous décident de faire Saint-Jacques de Compostelle. Prise d’alcool ou d’"ecsta", randonnée cocasse. Alice Adams décrit avec brio ce ciment de l’amitié, fait de complicité. Les amis sont toujours en contact, mais se revoient de loin en loin. Eva s’est fait une raison, et sait que le temps où elle sortait avec Lucien est sans retour. Benedict, lui, serait toujours là, qui avait su maintenir avec elle une si belle entente, lui qui l’aimait secrètement, elle le savait. Et puis un jour Eva apprend que Benedict, l’éternel célibataire, va se marier.

Alice Adams signe une fresque subtile des forfaitures aux autres et à soi-même, des renoncements aux rêves de la jeunesse, et dépeint avec non moins de finesse les rapports ambigus entre amis, où s’entremêlent complicité, désir et jalousie. Sean J. Rose

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