5 octobre > Roman France > Lydie Salvayre

L’année dernière, à la sortie chez Points de son Petit traité d’éducation lubrique, Lydie Salvayre avouait que, luttant contre la maladie, et très sollicitée, elle n’avait pas pu écrire une ligne pendant les deux ans qui ont suivi l’attribution du prix Goncourt à Pas pleurer. L’écrivaine qui fut pédopsychiatre revient donc après trois ans avec un roman (c’est le treizième) branché avec combativité sur le présent, dans lequel on retrouve son énergie d’indignation et la vitalité de sa langue frontale et baroque.

Tout homme est une nuit est un face-à-face délétère dans un paisible village de Provence. En montage parallèle, le récit à la première personne d’un homme dans la trentaine - qui, atteint d’un cancer, a choisi de s’installer dans ce joli patelin dans l’espoir de trouver une certaine quiétude face à l’incertaine issue de son combat -, et le chœur mauvais de quelques habitants, quelques hommes, piliers du Café des sports, le centre névralgique où se font et défont les réputations. Il y a là, autour de Marcelin, le tenancier grande gueule, Dédé, guichetier dans une banque, Gérard, le maçon, Emile et Etienne… Un groupe d’hommes soupçonneux, d’abord défiants puis franchement hostiles, qui se montent le bourrichon, spéculent, intriguent, instruisent à charge le procès du nouveau venu, devenu le sujet principal de toutes les conversations. Anas, le narrateur au prénom andalou, n’est pas arabe (statut le plus élevé dans la hiérarchie des ennemis des hommes du bar) mais d’origine espagnole, petit-fils de Républicains qui ont connu l’exil en 1939. Il n’est ni chômeur, ni fainéant, comme on le soupçonne, mais était professeur de lettres avant de tout quitter pour trouver refuge dans ce Midi fantasmé. Ce que les clients du Café des sports prennent pour du mépris n’est que le souhait pour l’intrus d’acheter sa paix en se faisant le plus discret possible, une attitude de retrait, un art de la dissimulation hérité de sa jeunesse banlieusarde qu’il cultive depuis toujours. Qu’importe, sa simple présence échauffe les esprits qui se jettent sur tous les os à ronger : il est vu bavardant avec une jeune fille dans le bus qui le conduit à la ville où il reçoit ses soins ? Le voilà catalogué homme à femmes libidineux. Bientôt il s’agit même "de donner une petite correction à ces deux obsédés".

Racisme ordinaire, peur de l’étranger surtout si sa peau est foncée, force brutale des faibles, goût des dominés pour les chefs, incompréhension contagieuse qui se mue en haine bête et mauvaise, dans cette situation classique avec bouc émissaire, des opprimés traquent d’autres opprimés et leur font payer leurs propres frustrations. Tout homme est une nuit met en scène jusqu’à l’absurde, jusqu’au grotesque l’enchevêtrement des malentendus qui dressent ces hommes les uns contre les autres. Si, avec son titre plus solennel que son ton, ce roman est un drame, Lydie Salvayre imagine pourtant des retournements qui offrent à cette sombre histoire une issue sinon optimiste en tout cas moins amère.

Véronique Rossignol

Les dernières
actualités