CLASSES PRéPARATOIRES

La chance aux concours

Olivier Dion

La chance aux concours

Moins touché par la crise que le marché universitaire dans son ensemble, le segment des classes préparatoires aux grandes écoles continue d’offrir d’importants débouchés aux éditeurs. La réforme des programmes, qui prendra effet à la rentrée 2013, accentue encore la tendance et laisse augurer de bonnes perspectives de croissance.

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Par Charles Knappek,
avec Créé le 11.10.2013 à 19h48 ,
Mis à jour le 03.04.2014 à 17h10

Après la refonte des programmes du lycée, les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) amorcent elles aussi leur mue. Dès la rentrée 2013, les nouveaux programmes entreront en application dans les classes prépas de première année, suivis par ceux de deuxième année en 2014. C’est l’occasion pour les éditeurs spécialisés de revoir les contenus de leurs ouvrages et d’aborder la rentrée avec une offre largement renouvelée dans les filières scientifique et économique essentiellement, les prépas littéraires représentant un marché plus modeste en nombre d’étudiants.

En prépa scientifique, Dunod annonce la refonte d’une vingtaine de titres à destination des élèves de première année. L’éditeur met à jour la série « Visa pour la prépa » au sein de sa grande collection « J’intègre » avec trois titres en maths, en physique-chimie et en maths/physique-chimie qui sortiront en librairie dès le mois de mai. « Nous réécrivons aussi entièrement les tout-en-un, les formulaires, les ouvrages d’exercices, c’est un travail très important », souligne Florence Martin, directrice du marketing et de la communication chez Dunod.

Ellipses, chez qui les prépas représentent 15 à 20 % de l’activité, annonce une trentaine de refontes dans sa collection phare « Prépas sciences ». « Cette collection a été lancée il y a quatre ans et a pris beaucoup d’ampleur, justifie le directeur général, Brieuc Bénézet. Elle se présente sous la forme de tout-en-un qui se suffisent à eux-mêmes en proposant les annales, les cours, les exercices et tous les points du programme expliqués. A une époque où l’étudiant regarde un peu plus qu’avant ce qu’il va acheter, son choix se porte plus facilement sur un titre qui propose tout. »

De son côté, Lavoisier profite de la réforme des programmes pour renommer ses deux collections consacrées aux prépas scientifiques. « Référence prépas », axée sur les cours, devient « Compétence prépas », tandis que « Méthodes & annales », centrée sur les exercices et la révision, devient « Performance concours ». Une refonte « aussi bien sur le fond que sur la forme » qui concerne une vingtaine de titres et qui doit permettre à Lavoisier de conserver son « positionnement très qualitatif », selon Emmanuel Leclerc, directeur éditorial.

Fiches ou tout-en-un

Chez Nathan, l’effort de mise à jour porte essentiellement sur les prépas commerciales, un secteur où l’éditeur occupe une « position de leadership, affirme Charles Bimbenet, directeur du département technique supérieur formation adultes. En prépa commerciale, nous enregistrons par exemple 42 % de parts de marché sur le créneau des ouvrages de géopolitique des première et deuxième années », revendique-t-il. Ce segment géopolitique a récemment été investi par les Puf, qui ont développé en 2012 une série spécifique au sein de leur collection « Major ». De la même façon, Foucher proposera en juin une nouvelle édition de Réussir l’épreuve histoire, géographie, géopolitique à destination des prépas commerciales. Sous sa marque Sedes, Armand Colin annonce également une mise à jour de ses titres en géopolitique, tout comme Ellipses.

« En prépas commerciales, nous proposerons une quinzaine de nouveautés ou nouvelles éditions sous forme de manuels et de fiches à la suite de la refonte des programmes », annonce Brieuc Bénézet, pour Ellipses. La maison publiera notamment en août deux gros ouvrages tout-en-un en anglais pour les filières économiques, mais aussi scientifiques, et rassemblant de la grammaire, de la civilisation, du vocabulaire et des annales de concours. En prépa commerciale, c’est la collection « Optimum » qui constitue l’essentiel de l’offre d’Ellipses. Foucher se concentre pour sa part sur les thématiques transversales avec un titre en anglais des affaires, paru en 2011, et la parution tous les ans d’un ouvrage intitulé Toute l’actu destiné à la préparation des écoles de commerce. La dernière mouture, Toute l’actu 2012, est sortie à la fin de janvier et permet de réviser en 400 QCM l’ensemble des événements marquants de l’année écoulée.

Nathan s’appuie, entre autres, sur les ouvrages dirigés par Claude-Danièle Echaudemaison, auteure déjà présente dans les niveaux scolaires de la filiale d’Editis, et qu’on retrouve par ailleurs chez Armand Colin au sein de la collection « Cursus ». L’économie aux concours des grandes écoles de Claude-Danièle Echaudemaison couvre les deux années de prépa et constitue l’un des titres les plus vendus chez Nathan.

Armand Colin annonce la parution en juin d’une édition mise à jour de son tout-en-un Economie, sociologie et histoire du monde contemporain, destiné aux classes préparatoires option économique. Dans les filières scientifiques, l’éditeur n’est présent qu’à travers l’épreuve de français-philo, dont le thème change tous les ans (cette année, « la parole »). « Sur ce marché bien précis, nous détenons 25 % de parts de marché », affirme Stéphane Bureau, le directeur délégué à l’édition. Ce segment a également attiré - avec pour chacun un titre dédié - Bréal, Ellipses, Dunod ou encore H & K.

Chez Bréal, le renouvellement des ouvrages consécutif à la refonte des programmes concerne l’ensemble du catalogue, notamment les collections « Précis » ou « Le monde en fiches ». « Les prépas pèseront assez lourd pour la rentrée 2013 en raison de la refonte des programmes, explique la P-DG, Cécile Colonna. Ces dernières années, le supérieur a diminué, sauf dans les classes où il y avait des enjeux. Cela permet aux prépas de se maintenir au même niveau que les autres filières à concours comme le Capes ou l’agrégation. » Chez Lavoisier, Emmanuel Leclerc renchérit : « La refonte des programmes va temporairement tarir le marché de l’occasion. Nous espérons une augmentation de notre activité de 20 à 30 % pour la rentrée 2013. »

Fragmentation

Si la refonte des programmes revigore l’activité des éditeurs en suscitant la publication de nouvelles éditions, elle pose aussi de nouvelles problématiques. « La réforme a parfois pour effet d’amplifier la fragmentation des matières scientifiques par filières, constate Eric d’Engenières, directeur éditorial chez Dunod. Jusqu’à présent, nous proposions par exemple un tout-en-un qui couvrait les PCSI et les MPSI en mathématiques, car les programmes étaient proches. Avec la réforme, nous aurons désormais deux titres pour couvrir ce même périmètre. » A la rentrée 2013, la série tout-en-un de « J’intègre », chez Dunod, proposera pour cette raison des manuels de cours et d’exercices en mathématiques, physique, chimie, sciences de l’ingénieur et biologie adaptés à chacune des filières de première année (MPSI, PCSI, PTSI, BCPST).

En prépas littéraires, le phénomène est inverse. Depuis 2010, avec la fusion des concours de l’ENS Ulm et de l’ENS Lyon et la création de la Banque d’épreuves littéraires (BEL), les concours d’entrée aux écoles normales supérieures peuvent être présentés en même temps que ceux des écoles de commerce et de quelques écoles militaires comme Saint-Cyr. « Avoir fusionné ce concours a dynamisé le marché, car cela nous permet de proposer un ouvrage commun à un plus grand nombre de candidats », décrypte Stéphane Bureau. Nous ne pouvions pas le faire avant car le nombre de candidats était trop faible de chaque côté. Il y a deux ans, la thématique en histoire était “hygiène et santé?. Nous avons vendu près de 3 000 exemplaires pour un concours concernant 5 000 candidats. Cette année, l’ouvrage intitulé La France, la nation, la guerre de 1850 à 1920, publié sous notre marque Sedes, se vend également très bien. »

Pour autant, le marché des prépas littéraires reste moins attractif pour les éditeurs. Si Ellipses annonce la parution prochaine d’une Histoire de la philosophie spécialement conçue pour les élèves de la filière, Brieuc Bénézet reconnaît que les débouchés y sont réduits : « Il s’agit d’un public qui travaille beaucoup sur les sources premières, nous préférons cibler les IEP », indique-t-il. Les Puf, très présentes en lettres, profitent à ce titre du nouveau programme de Sciences po Paris pour scinder Le siècle des excès, le XXe de 1870 à nos jours en deux volumes ; l’un s’achevant en 1991 et l’autre couvrant l’histoire du temps présent depuis la disparition de l’Union soviétique. Foucher a publié à la fin de 2012, dans sa collection « IEP », une nouvelle édition de Réussir l’épreuve d’histoire. « Le concours 2013 a été avancé d’un mois, de juin à mai. Il était important de répondre présent dans les temps », indique Marilyse Vérité.

Contenus certifiés

Même s’il affiche une meilleure santé que le marché universitaire, le segment des prépas n’a plus la même vigueur depuis quelques années. « Les prépas sont clairement ce qui fait tourner la librairie, admet Michel, vendeur au rayon sciences du Gibert Jeune de la place Saint-Michel, à Paris (6e), mais on observe tout de même une baisse significative d’année en année. » Chez Lavoisier, Emmanuel Leclerc concède un exercice 2012 en recul de 5 % sur le segment des prépas.

De l’avis des éditeurs concernés, un élève de CPGE acquiert pourtant 4 à 10 fois plus de livres qu’un étudiant à l’université. Mais la nature de ses achats a évolué : « Il y a encore quelques années, en médecine, on publiait un livre de 500 pages et l’étudiant le fichait. Aujourd’hui, on publie les fiches. C’est un phénomène qu’on observe maintenant aussi en prépa, où nous privilégions les formats de tout-en-un couplés avec des fiches qui sont très complémentaires », note Brieuc Bénézet, chez Ellipses. « Avec le temps, on note un creusement entre le niveau des élèves de terminale et le niveau requis pour passer les concours qui, lui, n’a pas baissé », observe Pascal Gauchon, le directeur de la collection « Major », aux Puf. Dans ce contexte, les éditeurs ont tout intérêt à faire connaître leur production au plus grand nombre. Dunod mettra ainsi avant l’été à disposition des libraires et des enseignants le guide « J’intègre » de la réforme 2013-2014 des classes préparatoires avec les programmes officiels, les conseils de préparation des auteurs et de l’éditeur ainsi que le catalogue « J’intègre les grandes écoles Dunod » des ouvrages de la réforme. Dans l’ensemble, l’entretien de relations directes avec les enseignants prescripteurs par le biais de la distribution de spécimens reste la norme chez la plupart des éditeurs.

Aux Puf, Pascal Gauchon refuse tout alarmisme : « Les classes préparatoires sont peut-être le dernier marché en France où les livres se vendent encore. De plus, c’est un petit monde qui se connaît où l’influence des professeurs est importante, mais aussi le bouche-à-oreille. Paris concentre près de la moitié des prépas, mais les infos circulent dans toute la France. » « Le marché est petit, mais il est bien irrigué, renchérit Charles Bimbenet, chez Nathan. Certes, la culture Web est de plus en plus forte, mais les élèves sont toujours à la recherche de contenus certifiés. » L’éditeur table d’ailleurs sur la symbiose entre les supports papier et numérique via son offre « Le livre nomade », inaugurée à la rentrée 2012 et dont les retours pour le moment sont « positifs » selon Charles Bimbenet.

Armand Colin a opté pour une approche différente avec un site consacré à l’épreuve de français-philo des prépas scientifiques, sur lequel il commercialise depuis trois ans des contenus à l’unité. « Les étudiants peuvent acheter un commentaire, une dissertation corrigée ou une synthèse. L’objectif était de lutter contre la multiplication de contenus non certifiés proposés par des étudiants », explique Stéphane Bureau, qui revendique 15 000 actes d’achat sur la plateforme l’an dernier. Il confie : « Le ratio représenté par le site Prepas-scientifiques-francais-philo.com est de 10 % par rapport à notre chiffre d’affaires livres papier ». <

la niche des admissions directes et parallèles

Les classes prépas ne sont pas l’unique porte d’entrée aux grandes écoles. Les bacheliers et les étudiants en licence ou en master ont également la possibilité de postuler via différents concours parallèles. Ainsi Accès/Sésame (dès le baccalauréat), Tremplin 1 (bac + 2), Tremplin 2 (bac + 3/4), Passerelle 1 (bac + 2) et Passerelle 2 (bac + 3/4), avec la préparation spécifique qui leur est liée, représentent un marché porteur pour les éditeurs.

« Sur un marché des prépas commerciales qui a peu évolué, la grande nouveauté est la multiplication des concours Tremplin et Passerelle passés par les étudiants pour entrer en école de commerce avec une licence ou un M1 derrière eux, observe Stéphane Bureau, directeur délégué à l’édition chez Armand Colin. Le marché est encore émergent mais très attractif. »

Armand Colin, Dunod, Ellipses ou encore Foucher proposent des ouvrages préparant à ces concours. Foucher, notamment, propose des titres destinés aux prépas privées pour les concours Accès et Sésame. « Le concours Accès a changé en 2012. Nous avons republié un ouvrage début janvier pour tenir compte des modifications des programmes et de l’ajout de la nouvelle épreuve intitulée “Ouverture culturelle?. Le programme de mathématiques a également été modifié », indique Marilyse Vérité, responsable éditoriale chez Foucher. <

Le fonds universitaire, complément accessoire

Les prescriptions liées aux programmes des classes préparatoires profitent parfois aussi à des titres universitaires qui n’ont pas été conçus spécifiquement pour ces cursus élitistes.

Le marché des classes préparatoires aux grandes écoles relève essentiellement d’une production spécifique, taillée sur mesure en fonction des programmes. Pourtant, la frontière avec la production universitaire est parfois ténue. L’exemple typique est celui de l’épreuve littéraire de français-philo que doivent passer les élèves des prépas scientifiques, avec un thème qui change tous les ans. Si les éditeurs implantés sur le marché des prépas développent chaque année des titres correspondant au programme, le thème de cette année, « la parole », a aussi permis à La Découverte de mettre en avant deux ouvrages traitant de la question : La parole manipulée et Eloge de la parole. « Nous en avons vendu deux fois plus qu’une année normale. Il ne fait pas de doute que c’est lié à des prescriptions en lien avec le programme des prépas », observe Bruno Gendre, directeur commercial.

Parfois, un ouvrage du fonds peut même faire l’objet de prescriptions et générer un surcroît de ventes. Ce fut le cas en 2011 avec les Pensées sur la justice de Blaise Pascal, qui se sont écoulées à près de 5 000 exemplaires en prépa scientifique. Plus largement, la collection universitaire « Cursus », chez Armand Colin, trouve des acheteurs jusque parmi les préparationnaires, même si « ce n’est pas son objectif premier », souligne Stéphane Bureau, directeur délégué à l’édition de la maison.

La bonne fortune des ouvrages universitaires généralistes reste cependant rare, nuance Brieuc Bénézet, directeur général d’Ellipses. « Quand un ouvrage n’a pas été conçu spécialement pour la prépa, il est concurrencé par des titres qui, eux, le sont, rappelle-t-il. Il a donc peu de chances d’être prescrit. »« Les prépas sont loin de représenter l’essentiel de notre production éditoriale, complète Bruno Gendre. Nous ciblons surtout les prépas sciences po et économiques via notre collection “Repères?. Nous bénéficions des prescriptions sur certains “Grands repères? comme le Lexique de sciences économiques et sociales, mais elles s’effritent un peu. »

Vision utilitariste.

De la même façon, aux Puf, hormis quelques titres de la collection « Que sais-je ? » qui trouvent preneurs dans les classes prépas, notamment en géopolitique, c’est la collection « Major », spécialement conçue pour les préparationnaires, qui concentre l’essentiel de l’activité avec des ventes moyennes comprises entre 1 000 et 1 500 exemplaires. « On peut sans doute le déplorer, mais les étudiants qui préparent les concours aux grandes écoles ont une vision utilitariste de leur formation. Ils veulent des livres qui contiennent tout le nécessaire, et rien de superflu. En classe prépa, il y a beaucoup de travail, ils n’ont pas le temps de s’encombrer de choses annexes », analyse Pascal Gauchon, le directeur de la collection.

Quelques débouchés existent pourtant, pourvu que l’étudiant y trouve son intérêt. Ainsi, à la marge des programmes de prépas, Foucher propose des tests psychotechniques intitulés Tous les tests psychotechniques et Plus de tests psychotechniques. « Ces titres se vendent très bien, ils sont destinés à un public plus large que les prépas, mais nous avons beaucoup de préparationnaires qui en achètent pour optimiser leurs chances de réussite », explique Marilyse Vérité, responsable éditoriale. A la marge, toujours, La Découverte publiera fin août un livre d’enquête sociologique consacré aux classes préparatoires et intitulé Cap prépas, sociologie d’une jeunesse au travail. « Il s’agit d’une enquête de plusieurs années sur les prépas en maths sup, maths spé et sciences économiques, dévoile Bruno Gendre. On y apprend d’où viennent les élèves, ce qu’ils deviennent. C’est un titre qui intéressera sûrement les parents des étudiants, voire les étudiants eux-mêmes. » <

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