23 août > Premier roman France > Emmanuelle Favier

L’oppression ancestrale des femmes et la conquête de la liberté d’être soi sont au cœur de ce premier roman ardent qui entrelace les destins de Manushe, la paysanne "femme-homme", d’Adrian le mystérieux étranger, de Gisela la prostituée de la grande ville, et de Dirina l’adolescente terrorisée par des cauchemars. Dans un pays des Balkans rude et rustique jamais nommé - librement inspiré de l’Albanie, nous apprend Emmanuelle Favier en postface -, Manushe a, au sein de la communauté villageoise au fonctionnement clanique et régie par des codes traditionnels où elle vit, une place particulière qui lui vaut le respect. Née fille, elle occupe pourtant "une place d’homme", depuis que, à l’adolescence, pour échapper au vieux mari qu’on lui destinait, elle a fait le serment de rester vierge. A 45 ans, elle vit seule dans la très modeste maison héritée de ses parents, distille et boit son propre raki, fume dès le réveil, et a surtout la charge d’aller à la ville avec sa camionnette pour ravitailler le village une fois par semaine. Cheveux courts, seins bandés, vêtue d’habits masculins, "son corps de femme avait jusqu’alors parfaitement épousé les contours de son statut d’homme" jusqu’à l’accueil dans la communauté d’un étranger à "la singulière aura" qui vient troubler la vie ordonnée de Manushe et lui révèle des désirs inconnus. Derrière le dédoublement, les stratégies de dissimulations, les mues intérieures, Le courage qu’il faut aux rivières accompagne le réveil d’une sensualité contrainte depuis toujours, d’une volupté qui brouille les genres, d’instincts, dont celui de survie n’est pas le moins puissant, et de pulsions qui transgressent les assignations sociales et tentent de contrarier le "destin tordu" et les malédictions.

Auteure de poésie et de théâtre, d’un recueil de nouvelles (Confession des genres, éditions Luce Wilquin, 2012), l’écrivaine de 37 ans précise à la fin du roman qu’elle s’est intéressée à ces histoires authentiques de "vierges jurées" et à ces rituels d’un autre âge sans vouloir en tirer un récit documentaire. A lire sa prose précieuse, son imaginaire lyrique, on ne peut douter de ses intentions littéraires.

Véronique Rossignol

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