Droits

La copie privée dit merci aux tablettes

Rayon high-tech dans une grande surface spécialisée. - Photo Olivier Dion

La copie privée dit merci aux tablettes

Les revenus de la redevance pour copie privée, qui fête ses 30 ans, ont fortement progressé et approchent ceux générés par le droit de prêt, également géré par la Sofia. La modification des règles de répartition au profit de l’écrit et l’évolution des usages expliquent la hausse. Les droits de reprographie, gérés par le CFC, restent stables à un niveau encore supérieur.

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Par Hervé Hugueny,
Créé le 12.06.2015 à 02h03 ,
Mis à jour le 12.06.2015 à 09h53

Réunis en assemblée générale le 18 juin prochain, les adhérents de la Société française des intérêts des auteurs de l’écrit (Sofia) devraient entendre de bonnes nouvelles d’Alain Absire, Agnès Fruman et Christian Roblin. Respectivement président, vice-présidente et directeur de cette société de gestion collective qui perçoit et répartit le droit de copie privée numérique et le droit de prêt en bibliothèque, ils vont présenter le bilan des montants à distribuer cette année, en hausse globale de 6 %, à près de 20 millions d’euros. Si le marché du livre affichait une telle progression, ce serait considéré comme un événement exceptionnel.

Le scolaire le plus copié

L’augmentation vient surtout de la redevance pour copie privée. Les droits nets reversés aux adhérents de la Sofia pour 2014 augmentent de 22, 9 %, à 7,34 millions d’euros. En deux ans, ils ont quasi doublé. Pour les auteurs du scolaire, dont les œuvres sont les plus copiées, le montant moyen approche les 1 000 euros. L’auteur le mieux doté reçoit environ 3 000 euros. Pour un éditeur scolaire, la moyenne, qui est l’une des plus élevées parmi les 13 secteurs éditoriaux (écrit et image) distingués pour la répartition, est d’environ 32 900 euros.

Certes, pour les auteurs comme pour les éditeurs, ces chèques ne font que compenser le préjudice subi par la copie de leurs œuvres, ainsi que le manque à gagner qui en résulte. Mais il serait irrémédiablement perdu sans ce système, aussi perfectible soit-il : vue des ayants droit, la compensation est jugée extraordinairement sous-évaluée, alors que pour les consommateurs et les fabricants de matériels électroniques, son niveau paraît insupportable.

Le dispositif remonte à une autre "loi Lang", votée il y a trente ans tout rond, pour la musique et le cinéma tout d’abord. La redevance ne reposait alors que sur les cassettes audio et vidéo. Elle a été étendue aux CD, DVD, clés USB, cartes mémoires, disques durs externes, etc., et a intégré en 2001 les ayants droit d’œuvres graphiques (écrit et arts visuels). Les baladeurs numériques, smartphones, tablettes ont été assujettis au fur et à mesure de leur apparition. Les capacités de copie n’ont cessé d’augmenter, la perception de la redevance a suivi et dépasse largement les 200 millions d’euros aujourd’hui.

En 2014, la part de l’écrit a atteint 8,55 millions d’euros, et celle des arts visuels (photo, dessin, peinture, etc.) 10 millions d’euros, dont la moitié environ revient aux éditeurs de BD, beaux livres, livres pratiques, jeunesse, et à leurs auteurs. Sur les 18,55 millions d’euros du total revenant aux œuvres graphiques, un peu plus des deux tiers transitent par la Sofia. D’autres sociétés d’auteurs, notamment l’ADAGP pour l’image, perçoivent et gèrent le reste. En 2003, première année de perception pour l’imprimé, le total culminait à 600 000 euros.

Un iPad rapporte 1,35 euro

Régulière jusqu’en 2012, la hausse s’est vraiment emballée à partir de 2013. "L’année marque l’entrée en vigueur du nouveau barème par secteurs, prenant mieux en compte la part de l’écrit par rapport à la musique et à l’audiovisuel sur les nouveaux terminaux", explique Florence-Marie Piriou, secrétaire générale de la Sofia. Sur une tablette ou un smartphone, on trouve forcément plus de contenus venant d’un livre que sur un CD ou sur un DVD. Un iPad de 32 gigaoctets rapporte ainsi 1,35 euro aux ayants droit de l’écrit, contre 18 centimes avec la précédente estimation. Les ordinateurs sont exclus par convention. Les auteurs et éditeurs peuvent le regretter, car c’est sur les PC et Mac que se trouve le plus grand nombre d’ouvrages copiés. Les liseuses ne sont pas non plus assujetties.

La mesure de la copie privée est complexe, presque aussi difficile à évaluer que le piratage, avec lequel elle ne doit pas être confondue : il s’agit bien de la reproduction d’ouvrages acquis légalement. Tout ce qui sort de ce cadre est exclu, de même que les matériels à usage professionnel. Par sondages et études auprès d’utilisateurs, il s’agit de reconstituer le contenu des disques durs, clés USB, cartes mémoires, tablettes, etc.

La répartition combine le volume de copie et celui des œuvres. Après imputation des 9 % de frais de gestion, et des 25 % réservés à l’action culturelle, les droits sont répartis à parts égales entre auteurs et éditeurs. L’attribution est ensuite calculée au prorata de la copie mesurée pour chacun des dix segments éditoriaux (pour l’écrit), du scolaire qui en représente 25 % à la poésie qui pèse dix fois moins. A l’intérieur de chaque segment, un tiers de la somme est réservé pour une répartition égale entre les auteurs (ou les éditeurs, le principe est identique) inscrits dans la catégorie. Les deux tiers restants sont divisés entre le nombre d’œuvres de la catégorie, puis affectés à leurs auteurs (et leurs éditeurs).

Un système jugé opaque

Si elle satisfait les ayants droit, l’augmentation des droits perçus a exacerbé la colère des fabricants et de l’UFC/Que Choisir, l’association de consommateurs la plus virulente, qui juge le système opaque. Son schéma des flux financiers entre les 20 sociétés de gestion ressemble de fait à une pelote de laine confiée aux bons soins d’un chaton. La Commission de la copie privée ne se réunit plus, en raison des dissensions insurmontables entre ses trois composantes. La ministre de la Culture a missionné Christine Maugüé, conseillère d’Etat, pour déminer le terrain. Un autre rapport est attendu d’une commission de députés, pour les 30 ans de la loi Copie privée. Ils devraient lui être favorables : les 25 % de l’action culturelle soulagent les budgets des collectivités territoriales, dont ils sont souvent aussi élus. La Sofia a versé ainsi 2,1 millions d’euros l’an dernier à 159 actions en faveur du livre et des auteurs.

La menace vient surtout de la Commission européenne, qui voudrait homogénéiser ces dispositifs à l’occasion de la révision de la directive droit d’auteur. Un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne à propos d’un conflit sur la copie privée surgi en Belgique est aussi attendu avec inquiétude. L’avis de l’avocat général sera bientôt publié. L’affaire est jugée assez sérieuse pour que les dirigeants de la Sofia jugent utile d’en avertir les adhérents.

La copie privée accélère

Photocopie : 30 millions d’euros pour le livre

"La part revenant aux éditeurs et auteurs de livres est stable et représente environ 80 % des droits de reprograhie", indique Philippe Masseron, directeur général et gérant du Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC). Auteurs et éditeurs ont reçu 25 millions d’euros au titre du volume de photocopies estimé l’an dernier.

Instauré par la loi du 3 janvier 1995, le droit de reprographie est la plus ancienne des compensations instaurées pour pallier un usage du livre qui prive ses ayants droit d’une recette potentielle, et qu’ils ne peuvent empêcher. C’est aussi toujours la première en volume, qui dépasse plusieurs centaines de milliers d’euros pour une poignée d’éditeurs dans le scolaire : comme pour la copie privée, manuels et ouvrages parascolaires sont les plus reproduits. L’Education nationale a ainsi versé 17,1 millions d’euros de droits pour les photocopies effectuées dans le primaire et le secondaire.

Les universités représentent le deuxième contributeur, devant le secteur de l’enseignement professionnel.

Le montant des droits fait l’objet d’accords pluriannuels avec les principaux émetteurs de photocopies, ce qui explique sa grande stabilité. Les hausses de prix à la page décidées l’an dernier ne prendront ainsi leur effet que très progressivement. Dans les entreprises, la copie numérique remplace maintenant la photocopie.

Le droit de prêt est entré dans les mœurs

 

Bon indicateur de l’état de la lecture publique et des ventes aux collectivités, le montant du droit de prêt décline doucement, mais son principe est admis, au contraire de la redevance sur la copie privée.

 

Bureau de prêt, médiathèque de Creil, Oise.- Photo OLIVIER DION

"Nous constatons une baisse tendancielle du droit de prêt en bibliothèque, en raison de la baisse du nombre des inscrits et de la stagnation de la collecte en librairie", reconnaît Christian Roblin, directeur de la Sofia. Pour l’année 2014, le montant de la collecte a fléchi de 0,36 %, à 16,54 millions d’euros bruts. Par rapport au maximum de 2008, le repli est de 12 %. Mais à côté du contentieux juridique permanent que suscite la copie privée, le droit de prêt en bibliothèque instauré en 2003 apparaît d’une sérénité totale. L’Etat apporte sa contribution, indexée sur le nombre d’inscrits : 1,50 euro pour les bibliothèques publiques, 1 euro pour les universitaires, soit 9,8 millions d’euros en 2014 (- 4 %). Les libraires reversent 6 % du montant de leurs ventes après une remise plafonnée à 9 % sur les commandes. Il leur reste une marge encore supérieure à son niveau d’avant 2003, quand la guerre des prix sur les marchés publics conduisait à des remises de plus de 20 %. Pour la répartition de 2014, cette redevance sur les ventes atteint 5,7 millions d’euros, en baisse de 8,7 %.

"Pour remonter le nombre des déclarants, nous avons mené auprès des librairies une campagne de relance qui a porté ses fruits. Ce sont pour partie des nouvelles librairies, ou des existantes dont les nouveaux propriétaires ne connaissaient pas l’obligation de déclaration", explique le directeur de la Sofia. La société de gestion dispose d’un moyen de vérification : les bibliothèques doivent aussi déclarer leurs achats. "Mais beaucoup déclarent des achats qui n’ont rien à voir avec le livre, et qu’il faut retraiter", indique Aïché Diarra, responsable de la perception du droit de prêt.

En raison de la pénurie de trésorerie, la Sofia a renoncé à exiger de mettre fin au décalage de paiement qui remonte au délai de mise en place du dispositif à partir de 2003. Les librairies versent ainsi les 6 % des ventes sur les marchés publics deux ans après les avoir enregistrées. Les déclarations au titre de 2012 ont été versées pour l’essentiel l’an dernier. Un étalement est aussi négociable, en cas de situation tendue, mais cette souplesse peut se retourner contre la Sofia : la faillite de Chapitre lui a coûté quelques centaines de milliers d’euros d’impayés, correspondant aux ventes aux collectivités encaissées par le réseau, lequel a gardé la part du droit de prêt disparue dans sa déconfiture.

Ce dispositif de collecte a permis de constituer une base de données très bien renseignée sur le réseau de lecture publique en France. La Sofia a ainsi recensé 33 485 bibliothèques, dont 15 929 sont inscrites comme établissements de prêt. Parmi ceux-ci, les BM représentent la moitié du total et les CDI 35 %. Au titre de 2012, les bibliothèques ont déclaré à la Sofia 112,1 millions d’euros de volume d’achat, contre 104,9 millions de ventes annoncées par les fournisseurs : le décalage illustre davantage des surdéclarations des bibliothèques plutôt que des oublis des libraires, au vu des recoupements effectués. Les achats des BM représentent environ 55 % du total, et sont à peu près stables. Ceux des BU baissent vers les 20 %.

La concentration progresse

En librairie, la concentration progresse : en 2012, 12 % des déclarantes et 148 fournisseurs assuraient 80 % des ventes aux collectivités, alors qu’ils étaient en moyenne plus de 170 dans le courant des années 2000. Une poignée de très gros revendeurs contrôle plus des deux tiers du marché. Le nombre de déclarants recule presque sans interruption depuis 2006 (de 1 434 à 1 229 en 2012), mais une proportion reste constante : plus de la moitié annoncent un chiffre de ventes aux collectivités inférieur à 10 000 euros. En moyenne, ces petites unités déclarent 3 500 euros de ventes, ce qui ne représente que 210 euros de droits de prêt.

La répartition aux ayants droit est plus simple que celle de la copie privée, car fonction des déclarations. Après le versement à la caisse de retraite complémentaire des auteurs (2 millions d’euros) et la déduction des frais de gestion (1,9 million d’euros, soit 11,8 %), le montant net réparti pour 2014 se chiffre à 12,6 millions d’euros (- 2 %). Il est divisé par le nombre d’exemplaires achetés, à condition qu’il soit supérieur à 15 unités. En 2012, ce montant forfaitaire par livre, déconnecté du prix d’achat des ouvrages, est de 2,18 euros (2,20 l’année précédente), partagé à 50/50 entre auteurs et éditeurs.

Sous l’effet de la baisse des inscrits en bibliothèques et de l’effritement des achats de livres, le droit de prêt a perdu 12 % depuis son sommet atteint en 2008. Côté librairie, le marché est concentré sur quelques très gros fournisseurs.


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