3 janvier > Roman France > Eric Chevillard

"Vous savez, vous, ce que deviennent les narines du groin sur les tranches de museau ? Aucun trou !" note la petite héroïne éponyme du nouveau roman d’Eric Chevillard, Ronce-Rose, dans un carnet scrupuleusement cadenassé. A cette observation frappée au coin du bon sens enfantin s’ajoutent une multitude d’autres remarques. Sur les gens, par exemple : "Ils marchent avec l’air de savoir où il faut absolument aller alors qu’ils vont tous dans des directions différentes. […] Ils ne se disent jamais je suis seul à lire le journal sur ce banc ou je suis seule à fouiller dans mon sac, c’est donc que tous les autres qui sont quand même nombreux trouvent que ça ne vaut pas le coup et que je passe à côté de la vie."

La fillette blonde, prénommée Rose et surnommée Ronce par Mâchefer, l’homme qui l’élève et qu’elle "escalade" tel un buisson épineux, dépeint dans son journal intime ce monde à l’écart du monde, joyeuse bulle bruissant de microaventures dans le jardin avec le sureau et ses quatre mésanges, loin des bancs de l’école. Mâchefer lui a dit de se méfier "des sales types" qui offrent des bonbons (de toute façon, Ronce-Rose préfère les carottes râpées), à vrai dire, de l’humanité en général, même les gentils, ceux qui sont plein de sollicitude ("solitude lisse" comprend la gamine) : "Ils te posent mille questions, ils veulent tout savoir de toi, puis ils te jettent en taule dans un orphelinat." Mais il lui a également enseigné l’amour des mots. Et la verte "raisonneuse" de leur rendre bien : elle adore les expressions, leur origine : "Le papier n’a pas pied, c’est Mâchefer qui m’a appris l’existence de l’étymologie et depuis j’en fais tout le temps, j’aime ça comme l’ornithologie et je serai bien embêtée quand il faudra que je me spécialise professionnellement." Ronce-Rose a également des leçons de calcul sauf les soustractions et les divisions, Mâchefer dit que "la vie se chargera bien assez tôt de nous les enseigner". Pour le sport, c’est Bruce, "collaborateur" de Mâchefer, la gentille brute épaisse à la tête trouée comme un gruyère, qui s’en charge. Mâchefer et Bruce travaillent de nuit et se déguisent souvent quand ils sortent en ville. Outre des habits des plus variés, des fausses dents et autres perruques, Mâchefer garde dans le tiroir de sa table de chevet "un pistolet à eau" pour faire des farces, dit-il, "son outil de travail". Un jour Mâchefer le Gangster n’est pas rentré. Ronce-Rose part à sa recherche en prenant soin d’indiquer par des flèches son itinéraire.

Comme dans Le vaillant petit tailleur (2003) où Eric Chevillard revisitait avec espièglerie les frères Grimm, nous voilà à nouveau entraînés dans le conte. Ou plutôt le "métaconte" puisque ce roman, où rebondissent aussi bien les métaphores de la langue que les épisodes de la quête de Ronce-Rose, ne fait qu’un avec le carnet secret que compose sous nos yeux la jeune "ornithologue étymologiste". Sean J. Rose

09.12 2016

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