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La police du livre

La police du livre

Le policier à l'origine d'Historique des libraires et imprimeurs de Paris existans en 1752, l'inspecteur Joseph d'Hémery (1722-1806), était en charge notamment des affaires de librairie à Paris de 1748 à 1773.

Les éditions de la BNF ont publié en mai un passionnant et dense volume intitulé La Police des métiers du livre à Paris au siècle des Lumières. Il s’agit en réalité d’une édition critique de l’Historique des libraires et imprimeurs de Paris existans en 1752 rédigé par l’inspecteur Joseph d’Hémery.

Avant d’en venir au cœur de ce document issu de la très riche collection Anisson-Dupéron, conservée au département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale de France, soulignons que la préface est signée par le grand historien américain Robert Darnton, à qui l’on doit tant sur les rapports complexes du livre de la censure. Et que cette édition critique a été établie par Jean-Dominique Mellot, Marie-Claude Felton et Elisabeth Queval, avec la collaboration de Nathalie Aguirre : ce sont donc respectivement un Conservateur général à la BNF, une historienne de la littérature enseignant à l’université McGill à Montréal, un bibliothécaire honoraire de la BNF et un Conservateur des bibliothèques également en fonction à la BNF qui ont uni leurs forces et leur érudition pour éclairer cet incroyable texte.
 
Le policier à l'origine du document, l'inspecteur Joseph d'Hémery (1722-1806), était en charge notamment des affaires de librairie à Paris de 1748 à 1773.

D'Hémery est présenté par ses exégètes comme un « homme d'action et d'information amené à se spécialiser dans la surveillance de la librairie et des gens de lettres (…), sans doute l'un des protagonistes-clés de ce moment historique où la police de la capitale forge les outils qui vont lui permettre tout à la fois d'autonomiser ses pratiques et de se rendre indispensable au pouvoir central par ses facultés d'anticipation et de discrétion ».

Un libraire volage

Prenons, pour le plaisir de la langue comme pour notre édification, une de ses fiches, celle en l’occurrence de Laurent Charles d’Houry : « Reçu libraire en 1741. et imprimeur en 1750. (…) Age : 35. Pays : Paris. Signalement : taille de cinq pieds six pouces, la barbe blonde et les cheveux de meme. Histoire : C’est un jeune homme qui vient de s’établir, et qui n’a pas beaucoup de génie, il ne vend pourtant rien de suspect, quoique marié il fait souvent des enfans a ses cuisinieres, ce qui lui a attiré quelques tracasseries. »

Une autre encore, Charles Saillant, « reçu libraire en 1740 » : (…) Il est le fils d’un procureur de Paris, et a épousé la fille de Vincent imprimeur. C’est un doucereux qui a de l’esprit, et qui est un des plus fins de la librairie. De Saint lui a donné de bonnes leçons, desquelles il profite tant qu’il peut ; il est extremement faufilé dans le jansenisme, et il vend presque tous les livres de ce parti.
Le 7. juin 1951. on a saisi chez lui trois cens exemplaires d’un livre de M. Petit Pied, qu’il avoit fait de société avec De Saint, Vincent et Lottin qui l’avoit imprimé. Le Magistrat leur a fait grace 
»…

Méticulosité inquiétante

Et les éditeurs de ce fichier de relever que d’Hémery est « rarement prolixe mais souvent savoureux et éclairant », apportant « un témoignage irremplaçable sur le regard qu'a pu porter un responsable policier bien informé sur une corporation de médiateurs culturels essentiels à la fabrication de l'opinion publique, et de ce fait particulièrement sous contrôle, celle des libraires et imprimeurs de Paris au milieu du siècle des Lumières. (…) Derrière chaque mot, chaque phrase, du fichier de d'Hémery, même la plus anodine, on discernera une délicate appréciation du rapport implicite des forces qui, selon les cas, pourra motiver ou au contraire retenir le moment venu la suspicion et l'action de la machine policière ».

La méticulosité de d’Hémery est inquiétante. Elle illustre cependant à merveille à quel point le livre, au XVIIIème siècle comme de nos jours, reste un outil de plaisir, d’érudition, mais aussi de sédition. Et combien les gens du livre sont des citoyens, forcément dangereux, puisque si souvent aux avant-postes des idées et de leur diffusion.
 
 

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