"La réaction viscérale remplace la réflexion"

"C’est un système d’intimidation qui pousse à l’autocensure." Marylin Maeso - Photo Hannah Assouline/Ed. de l’Observatoire

"La réaction viscérale remplace la réflexion"

Inscrite sur Twitter pour débattre dans "cette agora virtuelle", la philosophe Marylin Maeso y a découvert un système qui se nourrit de polémiques.

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Par Anne-Laure Walter,
avec Créé le 16.03.2018 à 00h54

Marylin Maeso - La question du contenu mise à part, il y a un parallèle intéressant à faire. Ce qui est reproché à ces ouvrages, à savoir le racisme et le sexisme, sont deux formes d’intolérance et d’essentialisme. Ces fléaux gangrènent notre société, et il importe au plus haut point de pouvoir en parler ouvertement, pour les déconstruire et les combattre efficacement. Or, dans les deux cas, il n’y a pas eu de réel débat: chacun a exposé sa position en caricaturant celle de l’adversaire et les réseaux sociaux ont donné à l’indignation une incroyable caisse de résonance.

Le terme "censure" est inexact car, au sens propre, il s’agit d’une interdiction officielle qui entraîne une diffusion sous le manteau. C’est plus un système d’intimidation qui pousse à l’autocensure. Pour paraphraser Camus qui voyait dans le xxe siècle le "siècle de la peur", je dirai que le nôtre est celui de l’intimidation. Les polémiques sur les réseaux sociaux font qu’on est vite submergé par l’effet de masse.

Le souci, c’est qu’il y a une aversion au débat et une volonté de déterminer a priori le champ des interlocuteurs légitimes, sur les réseaux sociaux comme dans les médias. On se répond par tribunes interposées dans la presse au prétexte qu’on ne discute pas avec "ces gens-là".

J’ai l’impression d’évoluer dans un univers dystopique, où la réaction viscérale a remplacé la réponse réfléchie, où les formules faciles ont tué le travail exigeant de la pensée. Si la polémique se porte si bien aujourd’hui, c’est parce qu’il y a une forme d’omniprésence de l’opiniâtreté. Quelle que soit leur idéologie, ces personnes s’entendent pour ne pas s’entendre.

Le problème est l’absence d’alternative. Il manque un média ou un réseau social qui serait un sanctuaire pour permettre de dialoguer, le support d’un contre-pouvoir du débat.

L’enfer est pavé de bonnes intentions. Ce qui est dramatique, c’est qu’On a chopé la puberté véhicule vraiment des clichés sexistes. Il n’est pas sorti de nulle part: il est le miroir de préjugés ancrés dans les mentalités. On aurait pu l’utiliser comme manuel pour les déconstruire. Défendre ses idées, à mes yeux, peut avoir deux sens: soit les préserver dans une bulle hermétique à la remise en question, soit les soumettre à l’épreuve de la contradiction. Seul le second maintient le dialogue, indispensable à la santé d’une démocratie. Propos recueillis par A.-L. W.

Les conspirateurs du silence de Marylin Maeso, éditions de l’Observatoire, 170 p., 16 euros. Paru le 28 février. ISBN: 979-10-329-0165-6.

16.03 2018

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