2 FÉVRIER - SCIENCES Etats-Unis

Médecin et conteur. C'est ainsi que se définit Oliver Sacks. Le neurologue anglo-américain avait connu en 1988 un succès planétaire avec L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau. Il évoquait alors une sorte de dérèglement visuel assez gênant au quotidien surtout lorsque l'homme en question cherchait son couvre-chef avant de sortir...

Après son autre best-seller Musicophilia (Seuil, 2009) qui explorait les perturbations de l'ouïe, L'oeil de l'esprit constitue la suite, si l'on ose dire, de ces observations. Il s'agit en effet de petites histoires, comme celle de Lilian, cette pianiste qui ne voit plus ni les mots ni les notes. Elle est perdue dans une cécité sélective qui affecte son quotidien tout en ne l'empêchant pas de jouer du Chopin.

Oliver Sacks raconte ces pathologies étonnantes sans chercher à terminer sur une guérison souvent improbable. Pourtant, il se dégage toujours de ses livres de l'espoir et une formidable humanité pour ces gens atteints de troubles divers, comme cette femme devenue aphasique après une hémorragie cérébrale, aphasiques que l'on traite souvent un peu vite comme des idiots incurables.

La longue pratique des hôpitaux new-yorkais permet à Oliver Sacks - il est né en 1933 - de montrer que ces structures ne sont pas toujours adaptées à ces cas mal compris. Et derrière chacun de ces destins douloureux, une question récurrente : la vie vaut-elle encore la peine d'être vécue dans de telles conditions ? Oui, répond Oliver Sacks. Même si cette vie est autre, elle est encore la nôtre. Elle met en place des processus pour dépasser le handicap. En définitive, la vie se survit en inventant de nouveaux dispositifs.

Sacks donne l'exemple de Charles Scribner Jr, le P-DG d'une célèbre maison d'édition américaine, qui réaménagea toute sa vie littéraire sur le mode audio après avoir contracté vers la soixantaine une "alexie visuelle", une atteinte de ses aires visuelles cérébrales.

Sacks lui-même souffre de prosopagnosie - la difficulté de reconnaître les autres et de se reconnaître soi-même dans une glace - et de troubles visuels à la suite d'un mélanome oculaire. "Il faut avoir perdu l'usage d'un oeil pendant un laps de temps substantiel pour constater à quel point la vie est modifiée par cette absence."

Ce livre rappelle que si l'oeil est indispensable pour voir, encore faut-il que le cerveau fasse son travail pour former des images. "Mon approche de la neurologie n'a rien d'académique." C'est ce qui donne à ce livre sa générosité, un optimisme qui rend hommage au langage pour surmonter bien des déficiences, pour créer nos propres expériences, dépasser nos souffrances et vivre malgré tout. Après la lecture de Sacks, la formule "avoir quelque chose à l'oeil" prend une tout autre signification...

17.02 2015

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