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Le livre jeunesse cherche la lumière

Salon du livre et de la presse jeunesse à Montreuil, en 2016. - Photo Olivier Dion

Le livre jeunesse cherche la lumière

Avec les 1res Assises de la littérature jeunesse, qu’il organise le 2 octobre à Paris en partenariat avec la BNF, le groupe jeunesse du Syndicat national de l’édition espère attirer les projecteurs sur le secteur.

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Par Claude Combet
Créé le 29.09.2017 à 17h12

En organisant le 2 octobre les 1res Assises du livre de jeunesse en partenariat avec la Bibliothèque nationale de France (BNF), le groupe jeunesse du Syndicat national de l’édition (SNE) entend frapper un grand coup et mettre l’édition enfantine sous les feux de la rampe. L’appui d’une grande institution comme la BNF, qui prête ses locaux, celui de la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, dont le groupe possède un fort secteur jeunesse (Actes Sud Junior, Thierry Magnier, Rouergue Jeunesse et Hélium), et du Centre national du livre, qui apporte aussi son concours, témoignent de l’ambition du secteur, qui souhaite désormais jouer dans la cour des grands. L’attente des professionnels est importante et, comme pour ceux de la BD qui se retrouveront les 5 et 6 octobre à la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême pour les 2es Rencontres nationales sur le thème "Education et bande dessinée" , ils mettent tous leurs espoirs dans cette journée. Plus de 400 personnes - bibliothécaires, libraires, auteurs, enseignants, documentalistes - de la France entière sont inscrites aux Assises, si bien que les organisateurs ouvriront une deuxième salle avec un écran pour retransmettre les débats.

"Le secteur jeunesse n’est pas reconnu. Les livres passent inaperçus alors qu’il y a de vrais bijoux. Nous avons une littérature française de grande qualité mais elle reste dans l’ombre. J’en veux aux journalistes qui ne connaissent pas la littérature française et en ont une vision médiocre", martèle Thierry Magnier, le président du groupe jeunesse du SNE. "Nous manquons de spécialistes mais c’est un problème de visibilité nationale. Ce n’est pas vrai localement, car les bibliothécaires et les libraires sont à l’origine de nombreuses initiatives. Il existe un vrai maillage culturel, pédagogique, éducatif, mais il n’est pas visible", renchérit Marianne Durand, directrice de Nathan Jeunesse.

Paradoxe

Le livre pour la jeunesse souffre d’un vrai paradoxe. Il est loué pour sa grande créativité, pour ses qualités littéraires et graphiques. Il fait partie des secteurs les plus dynamiques de l’édition, et aussi de ceux qui vendent le mieux à l’étranger : les cessions représentent une part non négligeable de son chiffre d’affaires. Malgré tout, on ne le voit que très rarement dans les médias, notamment à la télévision qui n’invite pas les auteurs et ne s’y intéresse qu’au moment du Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil ou pour la sortie d’un nouveau Harry Potter. "Nous étions fiers en décembre 2015 quand "La grande librairie" a invité Florence Hinckel pour U4. Yannis, en compagnie de Stephanie Blake, Timothée de Fombelle, Pef et… Erik Orsenna. Mais c’était il y a deux ans", se souvient Marianne Durand. Un épiphénomène.

Les choses bougent doucement. Aux "Contes de Tiji", créés il y a deux ans sur la chaîne Tiji, se sont ajoutées fin 2016 deux nouvelles émissions télévisées, "Yetili", sur France 4 et France 5, et "La cabane à histoires", sur Piwi+, mettant en scène des albums contemporains. Le succès a été au rendez-vous et toutes deux ont une seconde saison en tournage qui devrait être diffusée en 2018.

Exceptions

Côté radio, "L’as-tu lu mon p’tit loup ?" sur France Inter, qui fête ses 30 ans, et la chronique dominicale "Livres Jeunesse" de France Info font figure d’exception. Dans la presse écrite, le livre pour la jeunesse est à peine mieux loti. Michel Abescat à Télérama, Raphaële Botte à Mon quotidien et à Lire, Philippe-Jean Catinchi au Monde, Françoise Dargent au Figaro, sans oublier Fabienne Jacob à Livres Hebdo, font partie des critiques reconnus, qui consacrent une place, parfois importante, au livre de jeunesse. Mais le reste de la presse ne s’intéresse au secteur qu’au moment des cadeaux de Noël. A Télérama, outre les critiques de Michel Abescat et le livre chroniqué dans la page "Enfants", il est aussi présent dans le Télérama Enfants, qui paraît tous les deux mois et lui consacre dix pages. "On essaie de traiter la littérature jeunesse de manière aussi sérieuse que la littérature adulte, avec de vraies critiques. Mais c’est un fait que les auteurs ne sont pas médiatisés et que leur œuvre pour la jeunesse est souvent passée sous silence dans les interviews", commente Michel Abescat, qui annonce un "onglet Jeunesse" sur le site de Télérama pour la fin de l’année, proposant à la fois des livres, des DVD, des jeux et des sorties, en s’adressant directement aux jeunes. "La transmission de la culture fait partie de l’ADN du journal mais il faut toucher directement le public jeune, notamment les adolescents", explique-t-il. D’ailleurs, ces derniers ont leur propre réseau d’information, avec les blogs, mais celui-ci reste très souterrain.

Projecteurs

Le prix Vendredi, également organisé par le groupe jeunesse du SNE et dévoilé le 9 octobre, participe de cette volonté des éditeurs de toucher les médias. "Les Pépites décernées par le salon de Montreuil ou les prix Sorcières remis par les librairies Sorcières et l’ABF ne sont pas remis en cause. Au contraire, nous voulons multiplier les projecteurs sur le livre jeunesse. Nous reprenons les codes des grands prix littéraires pour être considérés par les journalistes, avec un jury de spécialistes, qui savent parler de cette littérature-là, des sélections et une remise en pleine période des prix littéraires. Nous espérons que les dix auteurs sélectionnés seront médiatisés", explique Thierry Magnier.

Les éditeurs pour la jeunesse mettent aussi leurs espoirs dans l’intérêt de Françoise Nyssen, ministre de la Culture, porte à l’éducation, car elle a promis un rapprochement avec le ministère de l’Education nationale. "A un moment, l’Education nationale s’était tournée vers le patrimonial. Elle s’est rouverte aux textes pour la jeunesse contemporains mais les enseignants méconnaissent encore cette littérature", déplore Hedwige Pasquet, présidente de Gallimard Jeunesse. Un nouveau chantier pour les 2es Assises ?

Denis Cheissoux : "Il y a des ouvertures possibles"

Pour l’animateur de "L’as-tu lu mon p’tit loup ?", le dimanche à 19 h 55 sur France Inter, la faible présence du livre jeunesse dans les médias n’est pas une fatalité.

Denis Cheissoux- Photo DR

Denis Cheissoux - France Inter est une radio culturelle. La force du livre de jeunesse est d’être fédérateur et transgénérationnel. "L’as-tu lu mon p’tit loup ?" s’adresse aussi bien aux enfants qu’aux parents et grands-parents. C’est un lieu commun : faire lire les enfants, c’est former les lecteurs adultes de demain et… les futurs auditeurs.

Il y a un paradoxe entre la grande qualité de la production et le manque d’ambition du secteur pour la faire connaître. Les éditeurs doivent comprendre comment fonctionnent les médias, leur vendre des parts de marché, expliquer qu’il y a 13 millions d’enfants de 0 à 12 ans, faire du lobbying. Je suis conscient que les médias fonctionnent avec des vedettes et ont besoin de "bons clients" qui savent s’exprimer, mais il y a des ouvertures possibles.

Je m’intéresse avant tout à l’album. Je refuse les ouvrages pédagogiques et les textes dépressifs. Un enfant a naturellement le sens de l’abstraction et de la complexité. Il ne faut pas s’interdire certains thèmes, mais on n’a pas le droit de le désespérer.

Je ne vais pas au-delà des 12-13 ans, faute de temps. La littérature pour la jeunesse, par essence, réveille l’esprit d’enfance, mais je ne tiens pas à revivre mon adolescence. Je fais cependant des exceptions pour les auteurs que j’aime comme Timothée de Fombelle ou Anne-Laure Bondoux.

Je suis toujours aussi enthousiaste. Grâce à Patrice Wolf qui a lancé l’émission avec moi, j’ai eu dès le départ entre les mains ce qu’il y a de meilleur, comme Tomi Ungerer, Bruno Heitz, Claude Ponti, et j’ai appris à en parler. La formule a évolué. C’est aujourd’hui un beau moment de radio, notamment grâce à la voix d’Eric Hauswald, qui lit des extraits, et à la réalisation de Xavier Pestuggia, un "véritable peintre sonore". J’aimerais juste qu’elle soit un peu plus longue, pour pouvoir donner la parole aux auteurs et aux illustrateurs.

Le livre jeunesse français est très créatif. En trente ans, j’ai vu passer les grandes tendances du livre pour enfants : le poche, les textes traitant des émotions comme le deuil, la citoyenneté, la philosophie, les "Livres dont vous êtes le héros", les "Chair de poule", les "Souris rose", Harry Potter, l’écologie, l’humour, les faits de société, même quand ils sont politiquement incorrects. En ce moment, la mode est aux romanciers connus qui écrivent pour la jeunesse. Mais tout le monde n’est pas Daniel Pennac, qui a commencé avec Cabot-caboche et L’œil du loup, et écrit aussi bien pour les jeunes que pour les adultes.

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