23 août > Roman France > Arno Bertina

Si l’on excepte quelques apparitions çà et là - la réédition en 2015 chez Hélium de la fiction biographique consacrée à Johnny Cash, J’ai appris à ne pas rire du démon, parue chez Naïve en 2006 ; Des lions comme des danseuses (La Contre-allée, 2015) ; des courts textes chez l’éditeur marseillais Le Bec en l’air -, on n’avait pas revu Arno Bertina dans une entreprise fictionnelle de grande ampleur depuis Je suis une aventure (Verticales, 2012), vaste livre plein de pérégrinations.

L’écrivain de 42 ans, membre du collectif Inculte, est de retour avec un roman à huis clos, circonscrit à l’inverse dans un tout petit territoire, un abattoir de volailles du Finistère. Des châteaux qui brûlent, qui diffracte huit jours sur plus de 400 pages, est un drame en prise directe avec une actualité sociale contemporaine : délocalisation, plan social, reconversion, négociations. Un spectacle avec piquets de grève, chemises de DRH arrachées, caillassage de voitures. Mais l’écrivain a choisi de se tenir à l’intérieur de la pièce, au plus près des combattants de cette guerre économique contemporaine.

Ici, une guerre de positions avec une usine bretonne en liquidation et sans repreneurs, en camp retranché, où est séquestré un ministre. A l’intérieur, l’otage, un secrétaire d’Etat à l’industrie issu du militantisme écolo, membre depuis seulement cinq mois d’un gouvernement de gauche, venu seul et de sa propre initiative pour une rencontre informelle à la recherche d’une solution de la dernière chance pour sauver l’activité. Face à lui, quatre-vingts salariés qui ont décidé sans préméditation et dans l’improvisation de le garder en otage et d’occuper l’usine. Et à l’extérieur, faisant le siège des bâtiments, le préfet, les gendarmes, le GIGN et les journalistes, survolés par les hélicoptères.

Des châteaux qui brûlent est un roman politique naturaliste qui donne tour à tour la parole à des hommes et des femmes pris entre le marteau et l’enclume. Arno Bertina offre des prénoms et des noms, associés à des fonctions, isole la voix des solistes dans le chœur pour trouver un timbre singulier à chacun des protagonistes et juxtapose les monologues. Ce dispositif littéraire, ce montage, met en valeur la complexité d’une réalité à facettes. Les visages multiples de la fierté et de la honte, de la colère et du désespoir. La forme ambiguë et mouvante des identités, des idéaux, des cohésions, des dissensions. L’intimité des consciences prise dans le mouvement collectif. "Une insurrection, c’est une réaction de survie, une métamorphose de la mort en forme de vie", pense le séquestré. Dans la tension qui monte, exaspérée par la fatigue des mauvaises nuits et des jours debout, dans le suspense de l’issue, s’installe un chaos festif où l’on teste d’autres manières de discuter, réfléchit à une autre forme d’organisation, lance l’idée d’un concert, d’une kermesse. Où l’on revisite aussi, à travers cette révolte particulière, l’histoire des luttes sociales. De leurs défaites glorieuses et de leurs victoires amères.

Véronique Rossignol

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