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Le philosophe et académicien René Girard est mort

René Girard - Photo Université de Stanford

Le philosophe et académicien René Girard est mort

Surnommé "le nouveau Darwin des sciences humaines", René Girard, académicien et théoricien du "désir mimétique", est mort en Californie le 4 novembre à l'âge de 91 ans.

Par Vincy Thomas,
avec afp Créé le 05.11.2015 à 10h02

Le philosophe et académicien français René Girard est décédé mercredi 4 novembre à l'âge de 91 ans aux Etats-Unis, a annoncé l'université de Stanford (Californie) où il a longtemps enseigné.
 
"Le renommé professeur français de Stanford, l'un des 40 immortels de la prestigieuse Académie française, est décédé à son domicile de Stanford mercredi des suites d'une longue maladie", a indiqué l'université californienne dans un communiqué.
 
Largement traduite et réputée à l’étranger, l'œuvre de René Girard reste assez mal connue du grand public en France. "Pour un intellectuel qui a longtemps été considéré comme un auteur à contre-courant et atypique, l'élection à l'Académie est une forme de reconnaissance", déclarait-il au quotidien La Croix le 15 décembre 2005, jour de sa réception à l'Académie française.
 
"Je peux dire sans exagération que, pendant un demi-siècle, la seule institution française qui m'ait persuadé que je n'étais pas oublié en France, dans mon propre pays, en tant que chercheur et en tant que penseur, c'est l'Académie française", avait-il expliqué ce jour-là dans son discours devant les Immortels.
 
S'il était parfois négligé en France, ses livres traduits dans le monde entier "ont offert une vision audacieuse et vaste de la nature, de l'histoire et de la destinée humaine", selon l'université de Stanford.
 
"Le nouveau Darwin des sciences humaines"
 
Le philosophe Michel Serres, également académicien et professeur à Stanford, l'a surnommé "le nouveau Darwin des sciences humaines", rappelle la prestigieuse institution américaine dans son communiqué.
 
René Girard a commencé sa carrière en tant que théoricien littéraire fasciné par toutes les sciences sociales: histoire, anthropologie, sociologie, philosophie, religion, psychologie et théologie.
 
"Il a influencé des écrivains tels que le prix Nobel J.M. Coetzee et l'écrivain tchèque Milan Kundera même s'il n'a jamais joui du cachet de ses pairs structuralistes, post-structuralistes, déconstructionistes et autres", poursuit le communiqué de Stanford.
 
Chrétien né le jour de Noël 1923 en Avignon, il a beaucoup écrit sur la diversité et l'unité des religions. Cet humaniste dont le père était conservateur de la bibliothèque et du musée Calvet d'Avignon, puis du palais des Papes, a fondé sa pensée sur les écritures saintes mais aussi sur les grands classiques de la littérature (Proust, Stendhal ou Dostoïevski). 
 
Désir mimétique
 
Il est connu pour son concept de "désir mimétique", qu'il définit ainsi: "C'est toujours en imitant le désir de mes semblables que j'introduis la rivalité dans les relations humaines et donc la violence". Pour lui, la Bible est une immense entreprise pour sortir l'homme de la violence. Cette influence judéo-chrétienne affirmée et ses théories l’ont amené à critiquer la psychanalyse mais aussi Claude Levi-Strauss. “Les gens sont contre ma théorie parce qu’elle est à la fois à l’avant-garde et chrétienne. Or, les avant-gardistes sont anti-chrétiens et la plupart des Chrétiens sont contre l’avant-garde”, disait-il en 2009.
 
Passé par l'Ecole des Chartes, archiviste-paléographe de formation, René Girard était installé depuis 1947 aux Etats-Unis. Il y a enseigné dans de nombreuses universités comme Duke, Johns Hopkins, où il organisa une conférence sur le structuralisme, invitant en Amérique Lucien Goldmann, Roland Barthes, Jacques Lacan et Jacques Derrida. Mais c’est  à Stanford qu’il acquis sa plus grande notoriété américaine : il y a longtemps dirigé le département de langue, littérature et civilisation française.
Docteur honoris causa de nombreuses universités (Amsterdam, Innsbruck, Anvers, Padoue, Montréal, Baltimore, Londres...), il a terminé sa carrière académique à Stanford en 1995, où il vivait depuis. Il était aussi chevalier de la Légion d’honneur, commandeur des Arts et des Lettres et avait reçu la médaille de l’Ordre d’Isabelle la Catholique en Espagne.
 
Un demi-siècle de publications
 
Il était l'auteur de nombreux ouvrages, la plupart publiés chez Grasset. Si Mensonge romantique et vérité romanesque (1961) est le plus connu parce qu’il pose les fondements du caractère mimétique du désir en se basant sur les textes de Cervantes, Stendhal, Proust et Dostoïevski, on lui doit aussi La Violence et le Sacré (1972), qui l’amène à l’anthropologie et à réfléchir sur le mécanisme victimaire, Des choses cachées (1978), où il aborde pour la première fois le christianisme, Le bouc émissaire (1982), qui analyse les textes de persécution, Shakespeare, les feux de l'envie (prix Médicis essai 1990), Je vois Satan tomber comme l'éclair (1999), Celui par qui le scandale arrive (2001, chez Desclée De Brouwer), qui revient sur la question du sacrifice, ou Achever Clausewitz (2007, chez Carnets Nord), livre d’entretiens avec Benoît Chantre dans lequel il décrypte l’histoire contemporaine et ses conflits à l’aune du traité De la guerre de Carl von Clausewitz.
Il avait aussi reçu le prix Aujourd’hui pour Les Origines de la culture (2004, Hachette Littératures), livre d’entretiens avec Pierpaolo Antonello et João César de Castro Rocha.
 
De nombreux ouvrages analysent ou critiquent son œuvre et ses pensées. Parmi les plus récents, Dieu ou l’économie du sang : une lecture girardienne de l’Exode biblique de Michel Sala (2015, L’Harmattan), René Girard, livre d’entretiens paru en mai par Art Press et l’Imec, Tout comprendre avec René Girard, de Paul Dubouchet (L’Harmattan, 2015), Etre girardien ou ne pas être : Shakespeare expliqué par René Girard, de René Pommier (Kimé, 2013) ou Le vocabulaire de René Girard, de Charles Ramond (Ellipses, 2009).

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