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Le poète Ashraf Fayad, la liberté d'expression et l'ancienne Arabie heureuse

Le poète Ashraf Fayad, la liberté d'expression et l'ancienne Arabie heureuse

Le Temps de cerises vient de publier, en coédition avec la Biennale internationale des poètes en Val-de-Marne, un volume intitulé Instructions à l'intérieur signé par Ashraf Fayad. C’est ce même volume qui, publié originellement en arabe au Liban en 2008, a valu à ce poète, en août 2013, d’être arrêté pour propos blasphématoires, mais aussi pour avoir répandu « des pensées destructives dans la société » saoudienne.

Ashraf Fayad est hélas aujourd’hui bien connu comme un des cas de censure les plus emblématiques.

Né en 1980, il est considéré comme une figure du milieu des arts plastiques. Mais il a, pour premier tort, en qualité de résident d’Abha, ville du sud-ouest de l’Arabie, de ne pas être saoudien, puisqu’il est réfugié palestinien. En 2013, il a mis sur pieds une exposition d’art contemporain à Jeddah, qui s’est tenue lors de la Jeddah Art Week. La même année, il a même représenté son pays d’accueil à la Biennale de Venise, à l’occasion de laquelle il a déclaré vouloir « offrir une vision claire de la transformation radicale de l’art saoudien »

Ashraf Fayad appartient également à l’organisation britannico-saoudienne Edge of Arabia, qui se définit comme une « plateforme internationalement reconnue pour le dialogue et l’échange entre le Moyen-Orient et le monde occidental ».

Le poète se présente lui-même comme un « musulman fidèle ». Son recueil, ainsi que des propos tenus dans le cadre d’une rencontre culturelle dans une café d’Abha, conduisent néanmoins à son arrestation durant l’été 2013. Il est relâché un jour plus tard sous caution, tout en restant poursuivi pour des « idées athées », avoir insulté Dieu et le prophète Mahomet, ainsi que le roi et le royaume d’Arabie saoudite…

De plus, la police religieuse est convaincue qu’il détient des photos prouvant qu’il a eu des « relations illicites » avec des femmes. De fait, sur son compte Instagram, il se montre en train de toucher les tétons d’une mannequin de bois.
Il est arrêté une nouvelle fois le 1er janvier 2014 et est alors accusé d’« apostasie », tout comme d’avoir encouragé l’athéisme auprès des jeunes.

En mai 2014, il est condamné à quatre ans de prison et 800 coups de fouet. Il interjette appel, repasse en justice en novembre 2015, et est… condamné à mort.

Il faut préciser que ses amis ont, en parallèle, mis en ligne une vidéo montrant la police religieuse d’Abha qui passe un homme à tabac.

Une ultime audience a délivré la sanction finale : le 2 février 2016, le tribunal d’Abha a commué la peine capitale d’Ashraf Faya… en huit ans de prison et 800 coups de fouet, au rythme de 50 coups par séance. Il doit aussi se repentir dans un média officiel.

Le simple citoyen français n’aura pas de mal à comprendre que, si les systèmes français ou européen souffrent de nombre de défauts lorsqu’il s’agit de liberté d’expression, ceux-ci ne sont en rien comparables à la situation de la plupart du reste du monde, de la Chine à l’Iran, en passant par la Corée du Nord, le Zimbabwe ou l’Arabie saoudite. Ce dernier pays détient encore le blogueur Raif Badawi, prix Sakharov 2015, qui a écopé de dix ans de prison et 1 000 coups de fouet.

L’Arabie heureuse de Ptolémée et de ses successeurs, celle d’Alexandre le conquérant, de la reine de Sabbat et des premiers siècles de la chrétienté a donc un peu perdu de son lustre.

Pourtant, au temps de sa gloire, les formidables richesses que ses habitants tiraient de leurs échanges commerciaux ont permis le développement de civilisations particulièrement brillantes. La base de cette richesse, ce sont les essences précieuses que des caravanes exportent jusqu’à la cour des empereurs de Rome, en passant par Gaza, les cités des actuels Syrie et Liban, l’Égypte, au sein de l’Empire perse, etc.

Plusieurs auteurs de l’Antiquité affirment que beaucoup d’habitants de l’Arabie heureuse se font édifier des palais pourvus de « colonnes dorées ou en argent, et encore que les plafonds et les portes sont ornés de coupes rehaussées de pierreries ». Le même genre de fantasmes a sans doute nourri les images que l’on a pu se faire des lointains héritiers de l’Arabie heureuse, maîtres contemporains du pétrole habitant de gigantesques palais, où l’or, l’argent et les pierres précieuses se trouveraient en abondance.

Mentionnons aussi que le berceau de la religion musulmane est le foyer d’une foule de cultes païens. Et que souligner cette réalité historique dans le contexte actuel de l’Arabie saoudite n’est pas forcément bien vu.

L’ancienne Arabie heureuse foisonne pourtant de sites archéologiques, sous la forme de temples aux dimensions parfois impressionnantes, évoquant la lointaine pratique de religions préislamiques. Les divinités, les dieux, les clergés et les rites sont nombreux. Jusqu’au début de l’ère chrétienne, les offrandes sont essentiellement humaines. En fonction des lieux et des circonstances, des hommes ou des femmes sont offerts en holocauste aux divinités. Puis on leur substitue des statuettes. Le sacrifice humain n’impliquait pas forcément le prix du sang. Il arrivait que les « sacrifiés » soient simplement conviés à se consacrer, leur vie durant, au dieu qu’ils adoraient.

Les statuettes qui se sont progressivement mises à remplacer les hommes représentent, en général, des chameaux et des taureaux, mais aussi des aigles, le croissant de lune, le soleil, les bouquetins qui vivent dans les zones montagneuses du Yémen et du sud de l’Arabie saoudite. Les effigies sont sculptées dans le bronze ou le calcaire, et sont déposées au pied des autels, au milieu des fumigations d’encens et d’autres essences précieuses. Elles doivent assurer aux dévots sécurité, bonne santé, récoltes favorables, protection contre les ennemis, fécondité aux femmes, etc.

Las, à l’heure où le royaume des Saoud cherche à redorer son image, à laquelle la France s’empresse de concourir afin de vendre des avions de chasse, il faut noter que ce pays abrite aujourd’hui le siège de la Ligue islamique mondiale ; et que celle-ci s’était associée aux poursuites intentées contre Michel Houellebecq, en 2002, et contre Charlie Hebdo, en 2006. Mon confrère Salah Djemaï, conseil de la Ligue islamique mondiale, déclarait en 2006 : « La Ligue islamique mondiale veut sensibiliser l’opinion à la montée du racisme dans ce pays. On envisage de demander l’euro symbolique. La Ligue islamique mondiale ne fait pas ça pour le fric. Le fric de M. Val est puant. »

Le tribunal de grande instance de Paris a rejeté le 22 mars 2007 les demandes de cette curieuse association, qui agissait en France, tout comme il lui avait déjà donné tort face à Michel Houellebecq (dont j’assurais la défense en 2002).

C’est pourquoi, à défaut de revenir à l’Arabie heureuse si chère à Pline, il faut aller se promener au Louvre en rêvant devant les magnifique sculptures d’albâtre ornées d’inscriptions bien mystérieuses, et, à défaut de connaître la vingtaine de langues utilisées alors, lire et parler, en français et en arabe, de la poésie d’Ashraf Fayad et du malheureux poète qui attend notre soutien.

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