EUROPE

Le projet de directive droit d’auteur déchaîne les passions

Virginie Rozière et Axel Voss - Photo Copie d'écran/europarl.europa.eu

Le projet de directive droit d’auteur déchaîne les passions

A la veille d’un vote en séance plénière au Parlement, les députés européens qui soutiennent le projet dénoncent une campagne virulente des GAFA.

J’achète l’article 1.5 €

Par Hervé Hugueny, Strasbourg
Créé le 05.07.2018 à 18h27

"Cette campagne va au-delà de ce qui est acceptable" a regretté Axel Voss, député du Parlement européen (groupe du Parti populaire européen, démocrate-chrétien, élu CDU en Allemagne), à propos de l'intense lobbying des opposants au projet de directive européenne sur le droit d’auteur, déposé le 14 septembre 2016 par la Commission européenne.

Rapporteur de la directive devant la commission juridique, qui a approuvé le 20 juin une version amendée du texte, il intervenait ce mercredi 4 juillet lors d’une conférence de presse organisée à Strasbourg, où le Parlement tient une de ses 12 cessions plénières annuelles, de quatre jours chacune, avant de repartir à Bruxelles.

Les députés insatisfaits du projet de directive ont obtenu d’inscrire à l’ordre du jour du 5 juillet un vote, non sur le texte lui-même, mais sur le mandat donné au rapporteur. Ce mandat lui permettrait d’entrer en négociation avec le Conseil européen, qui représente les 28 Etats membres, et avec la Commission, pour aboutir à un compromis. Son retrait empêcherait l’ouverture de ce "trilogue", dans le jargon européen, et renverrait le projet de directive en séance plénière, vraisemblablement en septembre, au risque d’un enlisement fatal.

Pressions

Ce texte a inquiété au départ les ayants droit (auteurs, éditeurs, producteurs, musiciens, etc.), qui ont été relativement rassurés ensuite. Cependant, il a déchaîné les passions furieuses des défenseurs de la liberté d’Internet, estimant qu’il contenait les germes d’une censure. Axel Voss évoque plus de 60000 mails reçus en 15 jours, et s’insurge contre tous les faux arguments déployés, la description d’un scénario catastrophe fantasmé, ou encore la mise en scène de la fermeture symbolique de la version italienne de Wikipedia hier.

"Il faut lire ce texte", déclare-t-il tentant de faire prévaloir le bon sens, rappelant qu’il s’agit juste d’instaurer une règle commune dans l’Union européenne pour l’utilisation et la circulation des contenus sous droit d’auteur, et le partage des revenus que les grandes plateformes obtiennent de la diffusion de ces contenus, en général sans les payer. C’est l’objet de l’article 13, et de l’article 11, qui vise le même but, spécifiquement pour la presse.

Désignées sous l’acronyme GAFA, pour Google, Amazon, Facebook et Apple, ces plateformes sont accusées d’être à la manœuvre derrière cette campagne. Ce que démentait formellement une poignée de manifestants silencieux, à la sortie de la salle de conférence, encadrés par le service de sécurité et brandissant des pancartes affirmant qu’une pétition contre cet article 13 avait recueilli 736000 signatures en 15 jours.

Les Gafa dans le viseur

Jean-Marie Cavada, député européen (Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe, vice-président de la commission juridique, élu sur une liste Génération citoyens en France), également présent lors de cette conférence a dénoncé une campagne de mensonges, et accusé ces lobbies d’hypocrisie. "Ils parlent de liberté mais ils pensent à l’argent" a-t-il répété, reprenant la formule prononcé la veille lors d’un débat emporté, sur France Inter dans l’émission "Le Téléphone sonne".

Pervenche Bérès, autre parlementaire présente, (Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates, élue PS en France, membre notamment de la commission des affaires économiques et monétaires), a rappelé des faiblesses passées de l’Europe, pour ne pas répéter les mêmes erreurs. "Il y a 20 ans, l’Europe n’a pas protégé son industrie des télécoms et l’a perdue. Il ne faut pas faire la même chose avec la culture face aux Etats-Unis, très engagés dans cette tentative de prise de pouvoir" a-t-elle soutenu.

"Il s’agit de responsabiliser les Gafa, dont l’économie repose sur le contournement des règles" ajoute Virginie Rozière, intervenant aussi lors de cette conférence (également rattachée à l'Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates, élue sur une liste des radicaux de gauche en France, membre suppléante de la commission juridique). "Dans les pays européens producteurs, il existe une sensibilité à la rémunération de la culture et il n’y a pas de réticence à cibler ces plateformes" mentionne-t-elle en marge de cette conférence pour expliquer le fort engagement des parlementaires français sur le sujet. "Mais la situation est devenue très émotionnelle, inflammable, avec beaucoup de pressions sur les députés, une violence verbale jamais vue et même des menaces de mort" affirme-t-elle.

Dans ce climat, le résultat du vote de ce 5 juillet apparaît incertain, et les partisans du texte se disent d’un optimisme inquiet. "368 députés sur 751 se déclarent favorables" assure Pervenche Bérès, qui consulte sa liste sur son téléphone portable. "Mais tous les groupes sont divisés, le clivage traverse les tendances politiques" prévient Virginie Rozière. Ainsi, la gauche est plutôt favorable, sauf en Allemagne et en Autriche, pays très sensibles à toute présomption de censure, en raison de leur histoire. La droite et le centre connaissent les mêmes clivages. La décision pourra pencher en fonction des absences: les parlementaires espagnols du PPE, plutôt favorables, doivent assister à leur congrès à Madrid, déplore l’élue.

Les dernières
actualités