15 MARS - HISTOIRE France

Certaines trajectoires sont peu communes. Par exemple, il est possible, en une vie, de passer d'une passion pour Rimbaud à une admiration sans bornes pour Ahmadinejad. Il est possible, dans cette même vie, d'être un professeur respecté et d'attaquer Badinter en diffamation. Il est possible enfin de soutenir pendant cinquante ans, d'une façon de plus en plus obscène, que les chambres à gaz sont "une sinistre farce", et d'alléguer comme fondement de cette obsession : " On m'a dit que le Père Noël existait et puis il n'existait plus : je n'ai pas supporté." Cette vie, c'est celle de Robert Faurisson, qui s'illustre depuis 1970 par ses déclarations négationnistes répétées envers et contre tout.

La monographie de Valérie Igounet a un premier mérite, essentiel : celui de retracer, de façon documentée et précise, la vie du souriant octogénaire, qui s'affiche sur son blog, et qui a joué de tous les alibis qu'il a pu trouver. Celui du professeur de lettres, d'abord, qui dénonce la "mystification » de Lautréamont dans une thèse soutenue en Sorbonne en 1972, avec une méthode d'analyse qu'il appelle lui-même "le ras des pâquerettes", et qu'il appliquera telle quelle à l'examen des archives de la Shoah. Celui du "chercheur scientifique" apolitique, en quête de vérité, que "l'opinion en vogue n'intimide pas" ; et bien sûr, celui de la victime de la fameuse « conjuration sioniste » qui, comme on le sait, opprime chacun à travers le monde. Cette victime a commencé par prendre parti pour Brasillach et Pétain, et plus tard s'est attaquée au "mythe » d'Auschwitz : il a tronqué les documents, les témoignages, a corrigé l'histoire selon son postulat initial, allant jusqu'à révoquer les affirmations des nazis eux-mêmes s'ils confirmaient l'existence des chambres à gaz. Le portrait d'ensemble donne l'image d'un homme colérique, paranoïaque et narcissique au plus haut point.

Mais - et c'est justement l'autre grand mérite du travail de l'historienne - il laisse à "d'autres champs » de recherche le soin d'évaluer la part de la folie, et se concentre sur le contexte historique de l'homme. Son parcours minutieusement reconstitué est l'occasion d'une évocation approfondie d'un milieu politique changeant au fil des décennies, dont la racine seule est certaine : l'antisémitisme. Et il est frappant de constater que le négationnisme sert d'abord une forme de droite traditionaliste jusqu'à la fin des années 1960, mais aussi certaines franges d'extrême gauche par la suite, pour qui la négation de l'Holocauste est une façon de mettre à mal l'idéologie capitaliste dominante. A partir des années 1980, cette doctrine, fondement du discours du Front national, sera récupérée par les mouvements islamistes fondamentaux, en Europe et en Orient. Comme si le portrait du négationniste était, en fin de compte, un portrait en négatif de l'histoire contemporaine.

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