11 mai > Roman France

Dans ses livres, Velibor Colic (prononcez : tcholitj) revient souvent à son pays d’origine aujourd’hui disparu : la Yougoslavie. Saravejo omnibus (Gallimard, 2012) était l’histoire du Pont latin de cette ville fondée au XVe siècle par les Ottomans, métaphore de la frêle entente entre les hommes, monument détruit pendant la guerre dite de Yougoslavie, et près duquel l’archiduc d’Autriche fut assassiné en 1918 avec les conséquences que l’on sait. Ederlezi (même éditeur, 2014) racontait le destin d’un orchestre tzigane à travers ses tribulations dans le XXe siècle. Le nouveau roman de Velibor Colic, Manuel d’exil : comment réussir son exil en trente-cinq leçons, s’inscrit pour le coup dans une veine nettement plus autobiographique puisqu’il s’agit de cette époque où l’ex-soldat, enrôlé dans un cauchemar sanguinaire et fratricide, débarque en 1992 en France "avec pour tout bagage trois mots de français - Jean, Paul et Sartre". Le voilà donc à 28 ans à Rennes dans un centre pour réfugiés où afflue la misère du tiers-monde et de l’ex-bloc soviétique, projeté dans la précarité économique et l’exil de la langue. "I have BAC plus five, I am a writer, novelist…", a-t-il beau protester, rien n’y fait, il faut repartir de zéro. L’ancien chroniqueur musical, spécialiste rock et jazz, sur une radio régionale de feu sa patrie met des cierges pour sainte Rita, la patronne des causes perdues, ou encore pour Miles Davis, "prince des anges". Devenu hypocondriaque depuis son arrivée dans l’Hexagone, il embrasse "toutes les maladies de [s]es artistes préférés du jour" : "Le matin je suis Modigliani et tousse ma tuberculose, l’après-midi j’ai le cancer des poumons nommé Raymond Carver et le soir je suis alcoolique, donc Hemingway." Dans ces confessions, l’auteur des Bosniaques (Galilée, 1993, repris en "Motifs" au Serpent à plumes) nous apprend avec une irrésistible autodérision comment suivre une mamma africaine pour trouver l’endroit le moins cher pour faire ses courses ou comment élégamment gruger dans le métro. Guide indispensable à toute personne contrainte à l’exil, et l’exil de la langue en particulier, ce Manuel retrace le parcours bluffant de l’écrivain qui reçut en 2014 pour l’ensemble de son œuvre le prix du Rayonnement de la langue et de la littérature françaises. Sean J. Rose

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