16 août > Roman France > David Diop

"Nous avions seize années de vie et nous voulions rire." Mais voilà que la Première Guerre mondiale sonne le glas d’une belle insouciance. Brusquement, de jeunes soldats basculent en Enfer. Parmi eux, des tirailleurs sénégalais, venus rejoindre les rangs français. Alfa Ndiaye prend la parole dès la première ligne. Un monologue glaçant de poésie et de vérité. Il ne se pardonne pas son attitude vis-à-vis de Mademba Diop, "[s]on plus que frère". Alors que celui-ci agonise "les tripes à l’air, le dedans dehors, comme un mouton dépecé", son cousin se sent incapable d’abréger ses souffrances. Un acte qu’Alfa ne s’explique pas.

"Par la vérité de Dieu, j’ai été inhumain." Mais peut-on vraiment le rester "dans les plaies béantes de la terre qu’on appelle les tranchées" ? Une expérience aussi extrême ne peut que provoquer une métamorphose. Alfa arbore soudain un autre visage, celui de la boue, du dégoût et d’une violence intense avec laquelle il fait corps. "La nuit, tous les sangs sont noirs. Mon odeur est celle de la mort." Celle qu’il perçoit et celle qu’il donne impitoyablement. Est-ce la folie qui s’empare de lui?

Les mots de cette confession brûlante sont crus et cruels, à l’image de la guerre qui n’a rien de romantique. "Ce n’est pas l’homme qui dirige les événements mais les événements qui dirigent l’homme. Les événements qui surprennent l’homme." Impossible d’en sortir indemne. Impossible de ne pas être lacéré par des cicatrices. David Diop est maître de conférences à l’université de Pau, mais il a grandi au Sénégal. Un pays dont il a hérité la langue bariolée des contes.

A Londres, son roman a donné des frissons aux enchères, finalement remportées par le grand éditeur américain, Farrar, Straus & Giroux. Ce texte puissant, hypnotique et ténébreux nous emporte comme une tornade. On désire le lire à voix haute, afin de mieux faire résonner la litanie de cet homme osant affronter son vrai visage. Celui d’un "Soldat sorcier", voire d’un anti-Dorian Gray qui se montre dans toute son horreur et son envie de survie. "Tant que l’homme n’est pas mort, il n’a pas fini d’être créé." Epoustouflant!

Kerenn Elkaïm

22.06 2018

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