À intervalles réguliers, les juridictions s’infligent de se replonger dans l’ « épineuse question » du droit de divulgation (sur le conformisme de la formule, Cf.  Dictionnaire des clichés littéraires  d’Hervé Laroche, publié par Arléa, pour lequel la « foule » est forcément « bigarrée »). Cet attribut du droit moral est en effet au cœur de nombreux contentieux post-mortem, visant à interpréter les volontés de l’auteur quant à leurs inédits et le respect de ces volontés par ses ayant-droits.   Ainsi de René Char. « L’éclair me dure » a écrit « l’immense poète » (cf. Laroche,  op. cit. ). Las, son héritière a le caractère ombrageux. Le 4 décembre dernier, la Cour de cassation a dû examiner le cas de la divulgation des correspondances inédites que le maître a entretenues avec… ses amantes. Les juges on estimé que : « Char était pleinement conscient du fait que sa correspondance allait inévitablement faire l’objet de publications après son décès ; que quand bien même pouvait-il estimer qu’elle présentait un intérêt littéraire secondaire — ce qui n’aurait pas été un moyen suffisant pour en interdire la publication — ou qu’elle pouvait témoigner de sa vie privée, il n’a pris aucune disposition générale et n’a manifesté sa volonté d’en retarder la communication au public que pour celle qu’il a entretenue avec Yvonne Zervos. Qu’il n’a d’évidence pas voulu soustraire à un projet de publication la correspondance qu’il a échangée avec Tina Jolas alors que tant par son volume que par la personnalité de Tina Jolas qu’il désigne dans son testament comme sa «  collaboratrice littéraire  », il était vraisemblable qu’elle allait appeler un «  projet de publication  ». Et voilà comment il est impossible de s’opposer sans s’appuyer sur des écrits limpides, à la circulation de documents parfois désagréables pour l’héritière officielle. Rappelons en effet que, au titre des droits moraux, l'article L. 121-2 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) dispose que l'auteur « a seul le droit de divulguer son œuvre » et « détermine le procédé de divulgation et fixe les conditions de celle-ci ». Le droit de divulgation, c’est donc le pouvoir pour un auteur de décider seul de la part de son œuvre qui mérite d’être publiée. Aucun éditeur ne peut s’emparer d’un manuscrit, pour passer outre la faculté que l’écrivain possède de considérer tel ou tel texte comme indigne de sa bibliographie officielle. Cet attribut du droit moral ne doit pas être pris à la légère. Il a ainsi été jugé par la Cour de cassation, le 25 février 1997, que la production d’un manuscrit inédit en justice constituait une divulgation de l’œuvre et donc une violation du droit moral… Et le Tribunal de grande instance de Paris a rappelé, le 21 septembre 1994, qu’une autorisation de consultation d’archives inédites ne permet pas au chercheur de divulguer en librairie l’œuvre ainsi découverte. Le droit de divulgation s’étend jusqu’aux conditions de la divulgation. C’est ainsi qu’un auteur peut invoquer ce droit moral pour refuser une exploitation sur certains supports. Le 13 février 1981, la Cour d’appel de Paris a jugé, à propos de portraits représentant Jean Anouilh, que si le photographe « avait autorisé Paris-Match  à divulguer les cinq photos en cause dans son magazine, il n’a jamais autorisé TF1 à les divulguer par la voie de la télévision ». Perpétuel comme tous les droits moraux, et franchissant donc la frontière du domaine public, le droit de divulgation est transmissible par voie successorale. Aux termes de l’article L. 121-2 du CPI, « après sa mort, le droit de divulgation de ses œuvres posthumes est exercé leur vie durant par le ou les exécuteurs testamentaires désignés par l’auteur. À leur défaut, ou après leur décès, et sauf volonté contraire de l’auteur, ce droit est exercé dans l’ordre suivant : par les descendants, par le conjoint contre lequel n’existe pas un jugement passé en force de chose jugée de séparation de corps ou qui n’a pas contracté un nouveau mariage, par les héritiers autres que les descendants qui recueillent tout ou partie de la succession, et par les légataires universels ou donataires de l’universalité des biens à venir  »…. Bref, il y a toujours quelqu’un pour veiller au grain.   Et c’est bien pour cela que l’exercice  post mortem  du droit de divulgation a pu donner lieu à quelques-unes des plus retentissantes affaires juridico-littéraires. L’article L. 121-3 du CPI envisage en effet les «cas d’abus notoire dans l’usage ou le non-usage du droit de divulgation de la part des représentants de l’auteur décédé». Le 24 janvier 2001, la Cour d’appel de Toulouse a ainsi débouté les ayants-droit d’un écrivain espagnol, qui tentaient de s’opposer à la sortie en France d’un roman dont l’auteur avait de son vivant autorisé la traduction. L’affaire Char vient donc s’ajouter à une longue lignée de jurisprudence.  
15.10 2013

Auteurs cités

Les dernières
actualités