Algérie

L'écrivain Rachid Boudjedra humilié à la télévision

Rachid Boudjedra piégé par une caméra cachée

L'écrivain Rachid Boudjedra humilié à la télévision

Invité à une fausse émission littéraire, l'écrivain algérien a été humilié et brutalisé par de faux policiers dans le cadre d'une caméra cachée pour une chaîne privée.

Par Vincy Thomas
avec AFP Créé le 05.06.2017 à 11h04

L'humiliation sur une télévision privée en Algérie de l'écrivain Rachid Boudjedra, piégé par une caméra cachée, a créé un tollé dans son pays, où des intellectuels demandent plus de rigueur envers les chaînes privées.

Comme chaque année durant le mois sacré de Ramadan, plusieurs chaînes privées algériennes diffusent de multiples séquences filmées en caméras cachées, piégeant anonymes et ou personnes publiques, à coups de brutalités, menaces et humiliations. Des séquences qui avaient déjà suscité des protestations - sans suite - sur les réseaux sociaux.

Le 31 mai, en s'en prenant dans sa séquence quotidienne "Rana Hkemnak" (On t’a piègé), à Rachid Boudjedra, ancien combattant de la guerre d'indépendance et grand nom de la littérature et de la poésie algériennes, la chaîne privée Ennahar a suscité l'indignation.

Faux policiers

Invité à une prétendue nouvelle émission littéraire, "Nadi Al adabi” (le club littéraire), l'écrivain de 75 ans, scénariste notamment du film algérien Chroniques des années de braise, Palme d'or du festival de Cannes en 1975, y est humilié et brutalisé.

De faux policiers font notamment irruption et intiment à M. Boudjedra - athée revendiqué dans un pays où l'islam est religion d'Etat et qui a été menacé de mort par les islamistes durant la guerre civile des années 1990 - de réciter la "chahada", la profession de foi de l'islam. "À un moment donné, j’ai pensé que j’étais tombé aux mains d’un groupe terroriste. J’ai vu deux jeunes avec des gilets de la police et des pistolets sur la ceinture. Je ne sais pas si ces armes étaient en plastique ou pas" explique-t-il.

Dans la vidéo, on voit l'écrivain réagir en colère contre ses piégeurs. Bien qu'il ait refusé que ce canular douteux soit diffusé et ait menacé la chaîne de poursuites, Ennahar a passé outre.

"J'ai contacté à plusieurs reprises le directeur de la chaîne et tout ce à quoi j'ai eu droit ce sont de simples excuses du rédacteur en chef", a expliqué à l'AFP M. Boudjedra, affirmant qu'il allait traduire la chaîne en justice.

Des chaînes privées critiquées

Cette séquence a suscité des réactions indignées dans la presse et sur les réseaux sociaux, pointant du doigt plus largement caméras cachées humiliantes et "reportages" racoleurs qui se multiplient sur les chaînes privées algériennes, nées il y a cinq ans.

Le poète Achour Fenni a appelé sur Facebook au "boycott des chaînes de télévision" tandis que l'écrivain et éditeur Lazhari Labter a dénoncé les "violence contre les femmes, bagarres, humiliation" de "ces caméras cachées scandaleuses".

Pour Salim Aggar, critique de cinéma, "le but d'une caméra cachée à la base est le divertissement et le rire mais (en Algérie) elle s'est transformée en un instrument de terreur".

Samedi, une centaine de journalistes, intellectuels et universitaires se sont rassemblés devant le siège de l’Autorité de régulation de l'audiovisuel (Arav) à Alger. Saïd Bouteflika, frère et conseiller du président algérien, a fait une brève apparition et parlé d'une "ignominie" contre M. Boudjedra.

Déontologie

Cependant, il y a des voix discordantes. Saïd Mekadem, journaliste à la télévision publique algérienne déplore que "Boudjedra a accepté l'invitation d'une chaîne dont il connaît les penchants mais refusé de participer à une émission culturelle que je présente".

L'Arav, qui a reçu M. Boudjedra, a condamné "des pratiques contraires aux principes de la déontologie", mais sans pouvoir agir.

Samedi, le directeur d'Ennahar Anis Rahmani a annoncé sur Twitter l'arrêt de "Rana Hkemnak". Pourtant la chaine continue de diffuser une dizaine d'émissions de caméras cachées, de divers formats, mais utilisant toutes les mêmes ressorts.

Rachid Boudjedra a publié en 2014 son dernier roman, Printemps (Grasset), l'histoire de Teldj, 30 ans, qui enseigne la littérature érotique arabe. Elle assiste horrifiée à l'émergence de l'obscurantisme et de la sauvagerie islamique dans tout le Moyen-Orient à la faveur du prétendu printemps arabe, qu'elle met en parallèle avec les émeutes de 1988, qui avaient conduit l'Algérie à la guerre civile.

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