avant-portrait > Thierry Hesse

C’est en passant par les Vosges - des villages désolés, vidés par la crise - qu’il eut l’idée de son premier roman. Une morne vallée qui, dans le jour déclinant, réverbérait une vieille tristesse, cette affaire d’enfant disparu qui avait ému la France entière dans les années 1980, et tout particulièrement la Lorraine voisine, dont Thierry Hesse est originaire. Le cimetière américain (Champ Vallon, 2003) avait été inspiré par l’affaire du "Petit Grégory" et parlait déjà de disparition. Ce prénom était devenu un nom commun qui résumait à lui seul tous les meurtres d’enfants, l’énigme absolue du mal. En réinterprétant le fait divers à travers la mort mystérieuse d’une adolescente, Thierry Hesse menait l’enquête en dressant la topographie d’un paysage hanté par ce "petit drame de sang" et dévasté par la désindustrialisation.

Bavure

Dans son nouveau roman, Le roman impossible, l’écrivain messin, professeur de philosophie en lycée, tente d’arracher à l’oubli un autre nom propre, emblématique d’une bavure policière qui fit entrer le malheur privé dans le tragique de l’histoire : Malik Oussekine. Le jeune homme franco-algérien est tombé le 6 décembre 1986 sous les coups des voltigeurs, cette brigade motorisée "anti-manif" déployée par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Charles Pasqua. "Les voltigeurs, ironie de l’histoire, ce sont aussi ces fantassins qui ont conquis l’Algérie sous le commandement du duc d’Aumale, le héros de la prise de la smala d’Abd el-Kader", précise Thierry Hesse.

Identité douloureuse

Le héros, Samuel Richard, enseignant et écrivain comme Hesse, veut écrire sur le martyr malgré lui des manifestations anti-Devaquet et accepte entre-temps de faire la biographie d’Henri d’Orléans, duc d’Aumale, pour le compte d’un de ses descendants. Sakineh, Iranienne condamnée à la lapidation, Nora, mère de victime de violences policières, Eric Woerth, Joseph Boda, blogueur pourfendeur des crimes de la République… Les voix s’entrelacent et composent ce roman "impossible", ultime volet d’une trilogie informelle "sur la conscience" commencée avec Démon, qui relie entre elles les pièces d’une enquête sur une France à l’identité douloureuse.

Qu’importe le dénouement, ce lecteur de W. G. Sebald né à la fiction assez tardivement (Thierry Hesse a plus de 40 ans quand paraît son premier livre) a "une conception du roman comme enquête de soi et du monde", "car le roman a plus à voir avec la vérité qu’avec le réel". Le réel, nul besoin de le dépeindre, il ne nous a jamais quittés ; la vérité, en revanche, à jamais élusive, c’est tout l’enjeu de qui écrit.

Sean J. Rose

Thierry Hesse, Le roman impossible, L’Olivier. 20 €, 420 p. Sortie : 5 janvier. ISBN : 978-2-8236-1102-1

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