Economie

Les écarts se creusent entre librairies

Les écarts se creusent entre librairies

Pas de miracle : la nouvelle étude économique de Xerfi confirme les difficultés du secteur et révèle un écart croissant entre petits et grands établissements. Commanditée par le SLF et le ministère de la Culture, elle sera présentée aux Rencontres nationales de la librairie.

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Par Clarisse Normand,
Créé le 01.11.2013 à 10h33 ,
Mis à jour le 11.04.2014 à 11h51

A 0,6 % (1), le taux moyen de rentabilité nette qui ressort des comptes déposés par 800 librairies indépendantes au titre de l’année 2011 place toujours la vente de livres en magasin comme l’un des secteurs les moins rentables du commerce de détail, juste derrière les boutiques d’électroménager (1,3 %), mais bien loin des opticiens (7,3 %), et même de la moyenne générale du secteur (3,2 %).

Derrière ce chiffre se cachent cependant des situations assez différentes selon la taille des établissements. Pour les grandes librairies (réalisant plus d’un million d’euros de chiffre d’affaires), le taux de rentabilité nette atteint 0,8 %, pour les moyennes (entre 300 000 euros et 1 million), il est de 0,6 %, et pour les petites (moins de 300 000 euros), il est même négatif, à - 0,6 %. « Un niveau qui constitue presque une anomalie économique et qui est a priori impensable à l’échelle d’un secteur ! » assure l’institut Xerfi, qui a réalisé, à la demande du Syndicat de la librairie française (SLF) et du Service du livre et de la lecture au ministère de la Culture et de la Communication, une nouvelle étude sur « La situation économique et financière des librairies indépendantes » sur la période 2005-2012 pour les deuxièmes Rencontres nationales de la librairie qui se tiennent à Bordeaux.

Au-delà de la photographie très réaliste, mais statique, donnée sur un ensemble d’indicateurs par cette partie de l’étude ciblée sur la seule année 2011, une approche dynamique concernant la période 2005-2012 (1) confirme la dégradation économique du secteur. Les nouvelles données ne peuvent malheureusement pas être comparées à celles de l’étude déjà réalisée par Xerfi sur la période 2003-2010 pour les Rencontres de 2011, à cause des modifications de la composition du panel : 46 % des 300 entreprises ayant participé à l’ancienne étude sont absentes de la nouvelle, soit parce qu’elles ne répondent plus aux critères de sélection, soit parce qu’elles n’ont pas déposé leurs comptes en raison de problèmes financiers. De fait, 12,5 % sont officiellement en cessation d’activité, liquidation ou redressement judiciaire. Composé de 260 librairies, le nouveau panel de l’analyse dynamique met aussi en lumière, dans un contexte difficile, un différentiel d’évolution sensible selon la surface des librairies.

 

Erosion.

Au-delà de la conjoncture, le livre a continué à pâtir de l’érosion des pratiques de lecture et de la concurrence des nouveaux médias. Alors qu’il a longtemps été résilient, pour la première fois depuis vingt ans, le marché a enregistré un repli pendant trois années consécutives, ce qui porte son recul, entre 2010 et 2012, à 3 % en valeur et à 9 % en volume. Sur sept ans, en revanche, l’évolution est encore positive (+ 0,9 %), avec déjà des écarts notables selon la taille des structures.

 

 

 

Progressions et replis.

Le chiffre d’affaires des grandes librairies affiche une progression de 5 %, tandis que celui des moyennes et des petites est en net repli, respectivement de - 5,1 % et - 10,7 %. En revanche, quelle que soit leur taille, les établissements enregistrent une légère amélioration de leur taux de marge commerciale, qui s’établit en 2012 entre 33,6 % et 34,4 %. Si les concessions des éditeurs sur les remises ont pu avoir un impact sur les chiffres de 2012, l’explication de l’amélioration sur sept ans réside principalement dans la perte, par les librairies, de certains marchés publics et scolaires, segments sur lesquels leurs marges sont moindres… voire dans la réorientation des pratiques de rabais auprès des particuliers (suppression de leur automaticité…).

 

Sachant que le poste « autres achats et charges externes », composé principalement des loyers et des coûts de transport, a augmenté de manière continue et plus importante que les marges commerciales, le taux de valeur ajoutée des librairies accuse une érosion, à 21,9 % en 2012 pour les grandes librairies, 21,2 % pour les moyennes et 19,9 % pour les petites, contre respectivement 23,5 %, 21,8 % et 21,6 % en 2005. Une dégradation qui ne fait que se confirmer sur les autres indicateurs situés plus bas dans le compte de résultat. Ainsi sur sept ans, le taux de résultat courant avant impôt a été divisé par deux dans les grandes librairies, par six dans les moyennes et par trois dans les petites, amenant leur résultat net 2012 à respectivement 1,1 %, 1,2 % et 1 %. Retraité des éléments exceptionnels (reprises sur provisions, abandons de créances, ventes d’actifs…), ce résultat net diminue encore avec des écarts accrus en fonction des tailles : pour les grandes, il passe de 2,1 % en 2005 à 1,1 % en 2012, pour les moyennes, de 2,6 % à 0,4 %, et pour les petites, de 2,6 % à 0,6 %. L’évolution est d’autant plus inquiétante qu’elle émane d’un panel de librairies pérennes, a priori plus résistantes. C’est d’ailleurs ce dont témoigne l’écart avec les chiffres évoqués, en tête, pour la seule année 2011.

Dans ce contexte marqué à la fois par la baisse de l’activité, la hausse des charges et l’inflation du nombre de nouveautés, le besoin en fonds de roulement a pris une importance cruciale. Face à l’accroissement des tensions sur leur trésorerie, dans un environnement où les banques resserrent leurs conditions d’octroi de crédit, les librairies se sont efforcées de procéder à des rationalisations.

A cet égard, 2011 marque un tournant et accentue le différentiel en fonction des tailles. Compte tenu des efforts engagés pour limiter leurs achats et augmenter leurs retours, les grandes et moyennes librairies ont respectivement, cette année-là, réduit leur stock de 2 et 2,7 jours de chiffre d’affaires à 57,6 et 90,6 jours, tandis que les petites l’ont juste stabilisé à 104,9 jours. Sur la période 2005-2011, les évolutions sont particulièrement parlantes, avec des stocks en baisse de 7,1 jours dans les grandes structures, une stagnation autour de 0,9 % dans les moyennes, et une hausse de 9,2 % dans les petites. Dans le même temps, les frais de personnel ont aussi fait l’objet d’ajustements.

 

La rémunération du dirigeant.

Dans les petits établissements, où le nombre de salariés est parfois réduit au seul dirigeant, c’est la rémunération de ce dernier qui a joué le rôle de variable d’ajustement. En revanche, dans les grands, il y a eu, pour la première fois, des allégements d’effectifs, ce qui a permis de limiter, entre 2005 et 2012, la hausse du poids des frais de personnel à 0,5 point, contre 1,7 point dans les librairies moyennes et 1,8 point dans les petites. Résultat, en sept ans, les grandes et moyennes structures ont réussi à faire baisser leur besoin en fonds de roulement d’exploitation de 6,3 et 4,6 jours de chiffre d’affaires, alors qu’il a progressé de 9,8 jours chez les petites.

 

Au-delà de ses effets positifs sur la trésorerie, cette rationalisation est inquiétante pour l’activité commerciale à moyen terme. Force est de s’interroger sur le maintien de la valeur ajoutée des librairies, à commencer par la qualité de service et le choix de l’assortiment. Le dynamisme des librairies labellisées Lir, qui ont fait mieux que le marché, avec une hausse d’activité de 8,7 % entre 2005 et 2011, montre qu’au-delà des soutiens publics et de l’amélioration des conditions commerciales, les points de vente misant sur la qualité ont encore une carte à jouer. <

(1) Contre 0,3 % en 2010, avec un échantillon différent.

(2) Les chiffres pour l’année 2012 relèvent d’une estimation réalisée par Xerfi à partir du modèle économétrique Mapsis.

 

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