Adaptations

Les éditeurs saisis par le vidéoludique

Overwatch - Photo Blizzard

Les éditeurs saisis par le vidéoludique

Née au début des années 1980, l’adaptation éditoriale de jeux vidéo donne lieu à une multiplication des expériences, particulièrement en bande dessinée. Analyse par Nolwenn Guillemot, qui y a consacré son mémoire de Mastère 2-Politique éditoriale, avec Bertrand Legendre, directeur de ce Mastère à l’université Paris 13.

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avec Nolwenn Guillemot et Bertrand Legendre Créé le 19.01.2018 à 15h18

Romans, bandes dessinées, beaux livres, guides : l’offre éditoriale investit de plus en plus le domaine porteur du vidéoludique. La BD, notamment, noue des relations étroites avec cette industrie culturelle : les deux médias s’inspirent l’un de l’autre, s’influencent et, surtout, transposent leurs licences respectives, et ce depuis plus de trente ans.

Des débuts timides

En 1983, la sortie du jeu Astérix sur la console Atari 2600 entérinait le début de ces échanges. L’année suivante, Eurédif publiait une bande dessinée Pac-man. Cette première adaptation d’un jeu vidéo en bande dessinée a marqué la naissance d’une niche éditoriale aux débuts timides, qui n’a véritablement pris son envol que depuis un peu plus de dix ans. On compte aujourd’hui au moins 622 titres de ce type, répartis en 137 séries, dont 85 % sont parus à partir de l’année 2006. Le manga Dofus, lancé cette année-là, adapté du jeu vidéo éponyme produit par le studio et éditeur français Ankama, fait figure aujourd’hui d’élément déclencheur dans la prise de conscience du potentiel de ce marché : le temps que la série assoie son succès, la production est passée de 20 titres en 2006 à 62 en 2010. Si la réussite de Dofus est liée à l’attrait du jeu et à des stratégies marketing pertinentes, elle témoigne aussi d’un fort intérêt de la part des lecteurs.

La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.

Cet éclatant succès n’a pas manqué de susciter de nombreuses tentatives d’adaptations de jeux vidéo. Au cours des cinq dernières années, pas moins de 16 éditeurs ont investi le marché, mais 4 maisons seulement totalisent plus de la moitié de la production : Kurokawa, Ki-oon, Pika et Ankama. Sur la même période, Kurokawa et Les Deux Royaumes assurent à elles deux plus de 62 % du total des exemplaires vendus. Les maisons Ankama et Les Deux Royaumes, en premier lieu, suivies tout récemment par Mana Books, y dédient toute leur ligne éditoriale ; d’autres collections confirment ce penchant, à l’image de "Game over" chez Albin Michel en 2003 - précurseur malchanceux du mouvement -, du regroupement Jeux Vidéo chez Soleil en 2006, du label Shônen Game de Kazé en 2010 ou encore de la sélection Urban Games chez Urban Comics en 2015.

Si quelques maisons dominent largement le marché, il est à noter que la composition de celui-ci reflète un déséquilibre flagrant des ventes selon les séries publiées et les licences adaptées. Six séries seulement réalisent à elles seules la moitié des ventes : Dofus, The lapins crétins, The legend of Zelda, Dragon quest, Inazuma eleven et Pokémon : noir & blanc. On remarque à cette occasion la prédominance du format manga sur le format franco-belge et comics. En ne considérant d’ailleurs que les séries hors format manga, The lapins crétins totalise la moitié des ventes, alors que Dofus ne représente que quelque 22 % du total des ventes au format manga, sur un marché qui présente une offre plus variée et un peu plus équilibrée.

Un marché qui cherche encore à se définir

Si le marché des adaptations de jeux vidéo en bandes dessinées acquiert peu à peu une reconnaissance et une visibilité nouvelles, il se heurte à la fois aux problématiques classiques de l’adaptation et à celle, spécifique au jeu vidéo, de la conversion d’une histoire interactive à une narration figée. Ce secteur reste en outre encore difficile à cerner, en particulier du fait d’un public mal défini : si la majorité des titres publiés s’adressent avant tout à un lectorat de gamers avertis, cherchant à tirer parti de leur affiliation à un jeu, certains semblent en parallèle viser une audience de néophytes, multipliant des appels du pied au risque de rebuter le public initial. Les revendications de cette cible semblent par ailleurs contradictoires : les joueurs exigent le respect de l’esprit du jeu, mais sont en attente d’une véritable originalité par rapport à la trame originelle.

Il s’agit donc de trouver de bons compromis entre les besoins des studios de jeux, ceux des éditeurs et les desiderata des lecteurs. Les éditeurs adoptent ainsi diverses stratégies pour proposer des œuvres abordables pour des novices et enrichissantes pour les adeptes confirmés. Parmi celles-ci, on compte la collaboration étroite avec le studio producteur du jeu pour garantir la cohérence de l’adaptation, le choix de produire un bel objet pour satisfaire la tendance "collectionnite" des joueurs, ou le parti pris de s’orienter vers une histoire différente et complémentaire à celle du jeu, mais fidèle à son univers.

Etant donné la nature profondément technologique et dynamique du jeu vidéo, et son développement rapide, ses relations avec la bande dessinée vont probablement évoluer vers des modèles innovants. Certaines pistes sont déjà explorées par des séries comme Dofus, qui offrent aux lecteurs des conseils de recettes utilisables dans le jeu ou des codes de téléchargement ; des studios, en particulier ceux spécialisés dans les jeux en ligne, ont choisi de combler leurs communautés par la mise en ligne de bandes dessinées gratuites, autour de personnages que les modalités du jeu ne permettent pas de présenter autrement, à l’image d’Overwatch de Blizzard.

Il apparaît donc que ce marché, encore modeste, dispose de caractéristiques propres à en faire un terrain d’expérimentation de premier plan pour les éditeurs. Parmi ces possibilités : des adaptations de jeux plus méconnus, laissant davantage de marge de manœuvre, des repérages d’auteurs potentiels au sein des communautés de fans, des collaborations poussées avec des studios de jeux… La créativité et l’audace pourraient bien faire exploser ce marché.

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