1er novembre > Essai Pays-Bas > Rem Koolhaas

Qu’est-ce qu’une ville ? Ou plutôt qu’est-ce que n’est plus une ville ? Ces questions parcourent l’ensemble de ces textes signés par l’un des plus audacieux architectes contemporains et sans doute aussi l’un des plus "littéraires" dans sa façon de traiter le bâti. Sur le mode des "images de pensée" chères à Walter Benjamin, Rem Koolhaas pose son regard sur l’espace urbain comme un philosophe et comme un promeneur.

Il observe, compare et surprend. Ainsi lorsqu’il parle des villes comme Atlanta qui n’ont pas d’"histoire" et plus de centre. "Il n’y a plus de centre, donc il n’y a plus de périphérie." Ou lorsqu’il évoque Singapour, une métropole "Potemkine" sans qualités mais non sans charme, dont il explique la généalogie et la trace de ses rêves architecturaux, ses "songlines", dans un petit essai passionnant qui irradie l’ensemble de cette approche sensible, sensitive et visuelle qui caractérise le créateur de l’agence Oma (Office for Metropolitan Architecture) né en 1944.

A Harvard, où il a enseigné comme dans tant d’autres prestigieuses universités, celui qui fut distingué en 2001 du prix Pritzker (le Nobel de l’architecture) voulait appeler son programme "Centre d’étude de (ce qui s’appelait autrefois) la ville". Jugé trop radicale par les Américains, la proposition est devenue "Projet sur la ville". Rem Koolhaas a repris le titre original pour ce recueil d’impressions urbaines subtilement annoté par Manuel Orazi. Cela lui va bien. "En architecture, on a toujours considéré qu’être ingénieux signifiait savoir enfreindre les règles. Désormais, il est possible de l’être en les suivant sans réfléchir."

Qu’il s’agisse de La Défense, de Lille ou de Berlin, il explique ces endroits où il a travaillé comme il les a vécus. Il rappelle aussi la durée paradoxalement brève d’un édifice contemporain qui entraîne une précarité même de la ville. "Le bâtiment "moderne" n’est plus que la matérialisation provisoire d’un investissement financier opportuniste qui expirera purement et simplement, au terme de 20, 25 ou 30 ans tout au plus."

Pour lui, l’essentiel est le passage du public, la ville d’hier, celle où l’on se regroupait, au privé, la ville d’aujourd’hui que l’on veut joyeuse, clinquante, préservée, à l’image de Dubaï qui surgit sans volonté de rassemblement d’une population. D’ailleurs, à ce propos, l’auteur de Junkspace (Payot, 2011) soulève quantité de problèmes pour la plupart desquels il avoue ne pas avoir de solutions, notamment lorsqu’il constate l’explosion d’une nouvelle architecture en Orient et en Asie.

A un moment où l’on nous redit sans cesse, y compris dans les publicités, que les trois quarts de la population mondiale vivront en ville en 2050, soit plus de six milliards de citadins, il n’est pas inutile de préciser ce que l’on entend par ville. Rien que pour cela, l’œil expérimenté de Rem Koolhaas est à recommander fortement. D’autant qu’il pose une question fondamentale à laquelle les seuls architectes seraient bien en mal de répondre. "Qu’est-ce que ceux qui sont partis en ville ont laissé derrière eux ?"Laurent Lemire

13.10 2017

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