10 janvier > roman Ukraine > Zanna Sloniowska

"Les artistes voient le monde autrement." Les écrivains aussi. C’est pourquoi Emmanuelle Heurtebize aime les mettre en lumière. Chargée de "la littérature en mouvement" chez Delcourt, elle se laisse guider par "la curiosité, l’éclectisme et la volonté d’explorer la fiction contemporaine, sans œillères mais avec des partis pris". Prônant "un cosmopolitisme assumé et la découverte de voix singulières", elle lance la primo-romancière Zanna Sloniowska, Ukrainienne d’origine polonaise, (elle écrit en polonais). Celle-ci voit le jour à Lviv, en 1978. Une ville qui lui a déjà inspiré un ouvrage photographique sur l’avant-guerre. La mémoire semble l’habiter, puisqu’elle mène cette histoire sur la métamorphose des pays et des identités intimes.

Le livre s’ouvre sur une tragédie, la mort de Marianna, une chanteuse d’opéra révolutionnaire, qui se voulait une femme libre. Elle, qui n’avait peur de rien, était venue apporter son soutien à des Ukrainiens voulant s’affranchir des Soviétiques. Un élan audacieux brisé par une balle impitoyable. Aux yeux de tous, Marianna devient un symbole, mais pour sa fille, elle demeure une mère insaisissable. Une mère emportée par la passion artistique, amoureuse ou politique, qui lui a toutefois légué l’essentiel. "Je fais de mon mieux pour que tu saches distinguer le bien du mal, pour que tu n’acceptes jamais de compromis avec ta propre conscience, pour que tu ne tolères jamais la trahison."

Une leçon complétée par les autres femmes de la maison, l’arrière-grand-mère mémé Stasia et la grand-mère Aba. Autant de battantes qui auraient dû éclore, mais la vie leur a coupé les ailes. Que ce soit en Pologne ou en Ukraine, elles ont été rattrapées par un régime politique draconien Il s’est immiscé dans leurs habitations, leurs écoles et leurs relations les plus intimes. Comment avancer face à des amours arrachées ou des rêves piétinés ?

Chacun des personnages résiste à sa manière. Rivée sur la vie, l’héroïne devient une jeune fille aguerrie à l’héritage du passé et à la multiplicité des identités. A l’image de sa ville natale, Lviv, ou des pays de l’Est qui ne cessent d’évoluer. "Un futur, nouveau et différent, semblait à portée de main." Qui parviendra à le saisir ? Zanna Sloniowska nous le transmet avec l’émotion d’une soprano de l’écriture. Kerenn Elkaïm

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