8 janvier > Essai France

De quoi est mort Roland Barthes ? La réponse se trouve peut-être dans cette biographie. En tout cas, Tiphaine Samoyault n’a pas ménagé sa peine. Elle a relu l’œuvre, évidemment, interrogé les travaux, sondé l’époque à la recherche des misérables petits tas de secrets. Et le résultat est convaincant. Son portrait très littéraire, dans le bon sens du terme, ne joue pas les enquêtes de terrain, mais plonge dans les documents et carnets inédits comme l’aurait fait Barthes lui-même.

Rythmés par des photographies, les chapitres s’enchaînent avec fluidité. Elle commence bien sûr par la fin, histoire de rappeler qu’on ne meurt pas que d’un manque de savoir-vivre. Il y a quelque chose de plus. C’est ce que cette universitaire (Paris-3) traque sur 700 pages.

Au cœur du mystère Barthes, il y a Henriette, la mère, seule femme et seule compagne de cet homme trop entouré pour ne pas être vraiment seul. Ajoutons-y la tuberculose, les sanatoriums, les études erratiques et les amours compliquées entre les amis, les amants et les emmerdes. Se succèdent enfin les étapes de la lecture de Gide avec qui il partage la passion du piano, la complicité avec Michel Foucault avec qui il va voir des matchs de catch, les relations complexes avec Claude Lévi-Strauss que ce "pupille de la Nation" aurait voulu pour père de substitution, Maurice Nadaud qui lui met le pied à l’étrier, puis son entrée dans le milieu intellectuel parisien des années 1950-1960 où l’on débattait dans les journaux de son Sur Racine.

A juste distance de son sujet, c’est-à-dire assez près pour observer les détails et pas trop loin pour ne pas le perdre de vue, Thiphaine Samoyault nous montre un Roland Barthes en critique qui s’est cherché dans les œuvres des autres et qui a fini par devenir écrivain. "Ce que Barthes découvre ainsi, c’est moins les lectures frappantes que la capacité qu’il a de produire de la pensée, à écrire à partir d’elle."

Barthes avait la passion du texte et du contexte, mais encore plus de l’écriture. Tiphaine Samoyault explique aussi son goût pour le théâtre et sa manière de se mouvoir sur la scène littéraire. Curieux personnage que cet écrivain qui écrit la plupart du temps sur commande, cet intellectuel à la mode qui ne se démode pas, cet auteur d’articles qui composent des livres marquants, ce professeur au Collège de France dont les cours font débat. Dans l’écriture il a trouvé le souffle qui lui manquait, et chez sa mère l’amour pour lequel il se sentait inadapté. Alors, de quoi est mort Roland Barthes le 26 mars 1980 ? Pas seulement d’un tragique accident de la circulation. L. L.

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