CRISE

L'Espagne dans le rouge

L'Espagne dans le rouge

L'Espagne du livre, comme toute l'économie ibérique, fléchit sous l'impact de la crise. Lueurs dans le tunnel : les exportations, qui profitent du rayonnement de la langue espagnole, et le numérique, qui comme ailleurs passionne les éditeurs, mais peine à trouver son public.

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Par Mylène Moulin,
avec Créé le 27.05.2015 à 18h32

Dans la "Rue des libraires », à Madrid, de nombreuses librairies sont en difficulté.- Photo MYLÈNE MOULIN

2010 a été une année d'hécatombe, je pense que 2011 va l'être également et que ce sera pire en 2012. Je prédis - à regret - que beaucoup de maisons d'édition vont mettre la clef sous la porte." Pour José María Arizcun Pérez, directeur des éditions Miraguano, comme pour la majorité des éditeurs espagnols, l'année dernière a été rude. En 2010, le marché intérieur du livre a enregistré une baisse de 7 % des ventes par rapport à 2009, pour un chiffre d'affaires global de 2,89 milliards d'euros. Une crise qui s'ancre dans le temps puisque les ventes de livres ont chuté de 3,5 % sur les cinq dernières années, selon l'étude sur le commerce intérieur du livre en Espagne réalisée par la Fédération des éditeurs espagnols (FGEE). La baisse du chiffre d'affaires se produit dans tous les segments. Si la littérature est la plus touchée, avec une chute de 9,8 % des ventes, même le poche ne séduit plus et enregistre une baisse de 2 %. Pour Antonio María Ávila, directeur de la FGEE, la situation s'explique avant tout par la réduction des budgets alloués aux bibliothèques publiques, scolaires et universitaires, par la crise économique qui frappe le pays, par l'absence de best-seller en 2010, enfin : "La consommation en Espagne est profondément affaiblie, et cette restriction a fini par arriver jusqu'au livre. Le lecteur habituel est toujours là et continue d'acheter. Qui a disparu ? Le lecteur occasionnel, celui qui achetait Stieg Larsson ou Stephenie Meyer. Ce type d'acheteurs n'est pas revenu en librairie."

LES EXPORTATIONS AUGMENTENT

Les libraires espagnols redoutent la Fnac, qui prévoit d'ouvrir douze magasins d'ici à 2025.- Photo MYLÈNE MOULIN

Alors, pour faire face, le secteur s'efforce de trouver de nouveaux marchés, notamment à l'étranger. >Pour compenser l'effondrement du marché national, les maisons d'édition misent sur les exportations, qui ont augmenté de 3,5 % en 2010, pour atteindre un chiffre d'affaires de 457 millions d'euros et une courbe de croissance conforme à celle enregistrée avant la crise, selon une étude sur le commerce extérieur du livre de la Fédération espagnole des chambres du livre (FEDECALI). En Europe, la France et le Royaume-Uni apparaissent comme les principaux pays importateurs : "De plus en plus de gens optent pour l'espagnol comme deuxième langue, et on note depuis deux ans une augmentation sensible de l'exportation de livres d'enseignement de notre langue vers nos voisins européens", constate Antonio María Ávila.

Mais l'Amérique reste le principal continent dans le viseur de l'édition. "Pour affronter la tempête, nous sommes en train de commercialiser nos titres dans les pays les moins touchés par la crise : ce que nous ne vendons pas en Espagne, nous le vendons en Amérique latine ou aux Etats-Unis, où le lectorat ne cesse de croître", explique Juan Casamayor, directeur de Páginas de espuma, une maison d'édition de taille moyenne spécialisée dans les contes.

Afin de s'assurer des entrées d'argent, des éditeurs espagnols comme Anagrama ont même installé des filiales au Mexique, en Argentine, au Chili et au Pérou, avec l'intention d'avoir un ancrage fort sur ce marché parallèle.

Si les ventes ont chuté de façon vertigineuse, les librairies semblent cependant tenir le coup et concentrent encore 53 % du CA. Pour Michèle Chevallier, de la Cegal (Confédération des libraires espagnols), la librairie indépendante est capable de faire front mais au prix de lourds sacrifices. En 2010, elle a observé non pas une diminution du nombre de libraires mais une baisse du nombre d'employés : "Les entreprises ont été obligées de licencier pour arriver à se maintenir. La crise fait beaucoup de dégâts, mais les libraires s'accrochent en réduisant leur personnel et en développant des activités transversales (concerts, expositions, théâtre) afin de garder leur clientèle."

LA FNAC FAIT PEUR

Si l'implantation d'Amazon semble avoir un temps préoccupé les libraires, l'inquiétude de ces derniers se porte plus sur la division du marché, l'installation de la Fnac en Espagne, qui prévoit l'ouverture de douze enseignes d'ici à 2025, et la multiplication de points de vente de livres. "Station-service, magasin de bricolage, herboristerie, boutique de vêtements : le livre est partout, et les grandes chaînes de librairies s'étendent, ouvrent de nouveaux magasins à un rythme effréné. Mais le nombre de lecteurs n'augmente pas." Fortement fragilisé par la crise et réaliste, le secteur du livre espagnol attend avec angoisse les premiers chiffres de 2011.

Numérique : offre pauvre et demande faible

Pendant longtemps, les éditeurs espagnols ont refusé de considérer avec sérieux l'arrivée du numérique. Ils se réveillent aujourd'hui dans l'urgence", constate Victoire Chevalier, directrice de E-libro, la principale plateforme numérique en Espagne. Selon la dernière >enquête sur le livre numérique >de la Fédération des éditeurs espagnols (FGEE), une maison d'édition sur quatre prévoit de commercialiser la moitié de son catalogue en format numérique d'ici à 2012.

Véritablement lancés dans la course depuis 2009, les professionnels du livre ont développé un maillage de plateformes numériques varié et performant. Todoebook, Amabook, Leer-e, Librosinlibro, TheCopia ou Movistar ebooks, le nombre de sites de vente a explosé ces deux dernières années. Pour Arantza Larrauri, directrice de Libranda (la plateforme numérique créée par les groupes Planeta, Random House Mondadori et Santillana), "ce foisonnement d'initiatives permettra d'éviter le monopole et ne peut que dynamiser le secteur et contribuer à faire disparaître progressivement les craintes du public".

En 2011, Apple, Google Books et Amazon, qui diffusera des livres numériques à la fin de l'année, ont été accueillis à bras ouverts par les éditeurs, qui ont vu là l'occasion de "renforcer leur visibilité dans le brouhaha numérique", explique Victoire Chevalier. Celle-ci précise cependant que l'offre de contenunumérique reste pauvre et que les éditeurs doivent développer une véritable "stratégie numérique" s'ils veulent réussir leur mutation.

UN MARCHÉ ENCORE ANECDOTIQUE

Si le secteur a doublé sa production, passant de 18 221 titres en 2009 à 25 500 titres en 2010, sa part de marché reste encore faible : avec un chiffre d'affaires de 70,5 millions d'euros en 2010, elle représente 2,5 % de la facturation globale de l'édition. Et les livres de droit et d'économie accaparent 70 % des ventes. "Ces trois dernières années, le livre numérique a été notre fantasme : nous réalisons aujourd'hui qu'il y a encore beaucoup de chemin à parcourir avant que ce ne soit une réalité", reconnaît Miquel Flamarich, qui travaille pour la Confédération des libraires espagnols (Cegal).

En 2010, à peine 105 000 liseuses ont été écoulées en Espagne. Les éditeurs comptent sur l'arrivée du Kindle en 2012 pour stimuler les ventes. Mais selon Antonio María Ávila, directeur de la FGEE : "Il faudra du temps pour institutionnaliser cette nouvelle forme de lecture, et, même si les supports seront là, nous devons baisser la TVA des ebooks de 18 à 4 %, car les livres sont encore trop chers pour séduire."

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