21 février > Roman Chili > Nona Fernandez

"Je l’imagine", "je le sais", ces deux précisions ponctuent souvent la saisissante traversée du miroir à laquelle nous engage l’actrice et écrivaine chilienne Nona Fernandez dans cette Quatrième dimension qui apporte une nouvelle pierre, originale, à l’édifice des nombreux livres consacrés aux dictatures latino-américaines des années 1970-1980. Voilà un "roman", mais qui emprunte à la fois à l’enquête journalistique et au récit intime, qui entremêle les faits et les reconstitutions en les enroulant autour des aveux de "l’homme qui torturait", un ancien membre des services de renseignement des forces aériennes chiliennes qui a confessé ses actes dans une revue en août 1984, quand la narratrice, alter ego de Nona Fernandez, avait 13 ans. En pleine dictature, Andrés Valenzuela Morales alias Papudo racontait dans une longue interview ce qu’il voyait depuis plus de dix ans, la répression politique à laquelle il participait : les enlèvements en pleine rue, la réalité des "disparitions forcées de personnes", les exécutions, les tortures infligées dans les centres de rétention clandestins aux prisonniers dont il devait assurer la surveillance, puis sa participation à des missions policières visant à "pulvériser le parti communiste".

La force de ce livre tient à la façon dont l’écrivaine, obsédée par des images anciennes, fabrique pourtant de la mémoire vive, actualise le passé. Elle ne le relie pas seulement à son enfance et à son adolescence sous Pinochet, ou à la position de sa génération qui "n’a pas participé à l’histoire" mais en cerne aussi les fortes résonances jusque dans le présent contemporain. Reliant les acteurs, les témoins et les époques, Nona Fernandez tente de combler les vides des récits, au plus près du vraisemblable, tout en assumant les limites de son imagination lorsqu’il s’agit par exemple d’écrire les derniers instants d’un détenu dans un canyon reculé de la cordillère des Andes.

Le tortionnaire repenti voulait se libérer de "l’odeur de mort" qui le poursuivait. Il fut exfiltré vers l’Argentine, puis la France, avant de revenir au Chili trente ans plus tard pour témoigner spontanément devant les juges lors des procès de la dictature. "Votre imagination est plus claire que ma mémoire", lui fait dire l’écrivaine. Plus claire et plus lucide. V. R.

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