Moto

Librairie : easy writer

Henri Loevenbruck devant la librairie Jonas, Paris 13e. - Photo OLIVIER DION

Librairie : easy writer

Henri Loevenbruck, auteur de SF et de polars, a imaginé de faire un tour de France des librairies indépendantes à moto, du 14 au 22 mai, avec un journaliste et un photographe. Une façon d'allier promotion et militantisme.

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Par Cécile Charonnat,
Créé le 05.12.2014 à 14h06 ,
Mis à jour le 10.12.2014 à 14h09

Libraire, Henri Loevenbruck ne l'est pas et ne l'a jamais été. Il se trouve même à l'autre bout de la chaîne du livre. Musicien à ses heures - il a participé au dernier album de Renaud, Molly Malone -, il est connu comme auteur de science-fiction et de polars teintés d'ésotérisme ou de fantastique. "C'est un écrivain que l'on attend plus dans les Fnac ou les Virgin que dans une librairie indépendante", reconnaît Caroline Lamoulie, son éditrice chez J'ai lu. Il a en effet beaucoup arpenté les forums de ces enseignes pour promouvoir ses livres. Pourtant, pour la sortie des deux premiers tomes de Sérum (J'ai lu), une série coécrite avec un ami d'enfance, Fabrice Mazza, et qui s'inspire de "la matière grise et de l'inventivité des séries télé tout en renouant avec le plaisir du feuilleton", il a "imposé" à son éditeur un tour de France des librairies indépendantes. Et pour cet amoureux de grosses cylindrées, cela ne pouvait se faire qu'à moto. Du 14 au 22 mai, Henri Loevenbruck, Sébastien Le Délézir (journaliste) et Christophe Zalewski (photographe-cameraman) sillonneront donc les routes de France, de Nancy à Rouen, et gareront leurs deux Harley Davidson, prêtées par la célèbre marque américaine, devant huit librairies indépendantes. "C'est la moto idéale pour ce genre de périple, où l'on n'a pas besoin d'aller vite. Elle est très confortable et Harley assure une assistance 24 heures sur 24 très appréciable qui garantit notre présence chaque soir dans les boutiques", explique l'écrivain. En pratique, l'arrivée est prévue en fin d'après-midi.

Avant chaque rencontre, l'équipe réalisera une vidéo de présentation de la librairie, mise en ligne le soir même sur un blog créé pour l'occasion et faisant office de carnet de voyage. Elle sera également relayée sur des sites partenaires, tels Libfly ou Libre Air, un collectif issu de la ligue de l'Imaginaire (1), qui vise à prolonger ce tour de France en soutenant et valorisant le travail de la librairie indépendante sur le long terme. Un partenariat avec France 3, qui devrait suivre la tournée, a également été concocté.

Si la communication est à ce point travaillée, c'est qu'Henri Loevenbruck, très présent sur les réseaux sociaux, souhaite avant tout, avec ce tour de France, mettre un coup de projecteur sur les librairies indépendantes, sensibiliser les lecteurs aux problématiques qu'elles rencontrent et les inciter à s'y rendre. "Je suis super inquiet pour les librairies. Elles vivent aujourd'hui grâce à une clientèle passionnée et très active. Mais si on fait les mêmes choix qu'aux Etats-Unis, je suis persuadé qu'elles vont disparaître. Et ce sera vraisemblablement les seules à morfler dans le circuit. Je trouve ça d'autant plus révoltant et triste que depuis soixante-dix ans les écrivains et les éditeurs vivent grâce aux libraires."

Démarche iconoclaste

Outre l'envie de faire entendre sa voix sur le sujet, l'écrivain au look d'éternel adolescent désire également échanger avec les professionnels sur les bouleversements qui attendent la profession. "J'y vais aussi pour parler avec eux, les rencontrer. Je suis vraiment curieux, par exemple, de savoir comment ils se positionnent à l'égard du numérique. Quelle place voient-ils pour leurs magasins dans ce nouveau marché ? Sont-ils prêts à accueillir des bornes de téléchargement ou des clients qui viendraient uniquement avec une clé ? Auront-ils toujours autant besoin de surface ?"

La démarche, iconoclaste et clairement militante, touche son éditrice et les libraires. "Pour Henri, c'est une sorte de retour aux sources. Il doit ses premiers succès, comme La Moïra chez Bragelonne, ou même L'apothicaire, aux libraires. C'est donc une excellente manière de saluer leur travail. Et pour ne rien gâcher, cela tombe au moment idéal pour J'ai lu, qui a justement choisi de mettre l'accent sur les librairies indépendantes", souligne Caroline Lamoulie. De la même façon, les huit libraires, sélectionnés par les équipes de J'ai lu ont accueilli très favorablement l'action. A La Mauvaise Réputation, à Bordeaux, l'aspect road-trip a séduit Rodolphe Urbs, son fondateur. "Le projet, type Easy rider, est cocasse et sain, et rend la promotion bien plus intéressante. » Chez Stanislas, à Nancy, première étape du tour de France, Nicolas Huguin salue "une initiative peu commune, de l'ordre de la solidarité, et qui nous colle parfaitement. Nous sommes en grande fragilité et nous comptons sur cette rencontre pour à la fois tirer la sonnette d'alarme, faire retrouver aux gens le chemin de la librairie et lui redonner de l'allant". Pour Maya Flandin, à la tête de Vivement dimanche à Lyon, "c'est du pain bénit : d'habitude, ce sont les libraires qui se creusent la tête pour trouver des idées originales en vue d'animer les librairies".

La libraire note par ailleurs que cette action rejoint une tendance qui se dessine chez les auteurs. "Ils réalisent de plus en plus que la librairie indépendante tient une bonne place dans leurs ventes et sont davantage sensibles à nos problèmes." Un constat que partage Dominique Fredj, directeur de la librairie Le Failler à Rennes, qui accueille Henri Loevenbruck le 21 mai. "Depuis le début de l'année, on sent une réelle inquiétude qui dépasse la simple gentillesse.Ils prennent chez nous des arguments pour pouvoir les répercuter ailleurs", raconte le libraire qui a ainsi expliqué récemment, chiffres à l'appui, le modèle économique de sa librairie à Erik Orsenna. Et même si, de l'aveu d'Henri Loevenbruck, il ne s'agit que "d'une goutte d'eau dans l'océan des problèmes, cela peut toujours faire tache d'huile et provoquer une prise de conscience". En tout cas, chez J'ai lu c'est déjà "un truc à garder"

(1) Créée en 2008 pour promouvoir les littératures de l'imaginaire, la ligue réunit une dizaine d'auteurs comme Henri Loevenbruck, Bernard Werber, Olivier Descosse, Maxime Chattam ou Franck Thilliez.

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