Bilan 2017

Librairies : un solide taux de natalité

Nouvelle-née dans la famille des oiseaux-libraires, La Mouette rieuse, dans le Marais à Paris, avec son responsable, Louis Voelckel. Sur 500 m2, elle offre livres neufs, soldes d'éditeurs et livres d'occasion. - Photo Olivier Dion

Librairies : un solide taux de natalité

Ouvertures, fermetures, reprises. Livres Hebdo décrypte les mouvements qui ont rythmé l’année 2017 et qui font ressortir le professionnalisme croissant des nouveaux projets développés par les libraires indépendants.

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Par Clarisse Normand,
Cécile Charonnat,
Créé le 15.12.2017 à 08h21

Les Rebelles ordinaires à La Rochelle, La Mouette rieuse et Le Phare à Paris, BD Avenue à Bordeaux, Les Lisières à Croix, Les Grandes Largeurs à Arles… Ces librairies indépendantes sont les plus emblématiques parmi les 37 dont Livres Hebdo a repéré la création en France en 2017. Elles manifestent la poursuite d’une démographie positive du secteur alors que, en parallèle, 23 disparitions ont été enregistrées au cours de l’année, parmi lesquelles les historiques Tirloy à Lille, Camugli à Lyon et Le Môle à Saint-Malo, mais aussi la jeune Librairie du Port à Calais, en attendant, début janvier, la fermeture de la spécialisée BD Album, à Paris.

Les trois libraires des Rebelles ordinaires à La Rochelle : Guillaume Bourain, Bérangère Bodin et Sandra Larnack.- Photo GUILLAUME BOURAIN

Ces données, non exhaustives, sont à appréhender avec prudence d’autant que les fermetures sont toujours plus difficiles à détecter. Mais avec leur lot de naissances et de morts, elles témoignent de la respiration du commerce du livre. Le nombre de créations de librairies indépendantes en 2017 figure parmi les plus élevés de ces dernières années après le record de 2016 : 40 ouvertures répertoriées, contre 30 en 2015 et 2014, 22 en 2010 et seulement 15 en 2006. Le nombre de fermetures repérées, lui, se maintient sur la durée autour de 20 par an.

"Street food and comics shop" : la librairie BD Avenue, à Bordeaux, fait aussi restaurant, le tout sur 900 m2.- Photo BD AVENUE

Professionnalisation

S’ils ne disposent pas de statistiques précises (on peut confondre ouverture de compte et ouverture de librairie), les diffuseurs confirment le dynamisme démographique de la librairie française. Marc Dalby, directeur des ventes et de la diffusion d’Actes Sud, a le sentiment "d’une recrudescence de créations depuis deux ans et d’un solde démographique plutôt positif". Cyril Vachon, directeur commercial de CED, estime "intuitivement le nombre de créations un peu supérieur aujourd’hui à celui des fermetures, alors que les deux se sont longtemps équilibrés". Chez Pollen, Guillaume Bugaud, responsable de l’administration des ventes, annonce "200 ouvertures de comptes en 2017, à comparer à 180 en 2016, 190 en 2015 et 220 en 2014. Un chiffre assez stable donc, porté par les créations de petites structures généralistes… mais moins par celles des librairies spécialisées jeunesse."

Contestant l’idée qu’il y aurait de moins en moins de librairies, Alain Armand, directeur des ventes 2e niveau chez Madrigall, se montre circonspect sur les évolutions. "Le nombre d’ouvertures de comptes, soit 200 en 2017 chez nous, est à peu près stable. En retirant les transmissions, les créations représentent plus de la moitié de ce chiffre, avec beaucoup de petits points de vente inférieurs à 60 m2. Mais derrière le quantitatif, souligne Alain Armand, ce que j’observe, c’est une professionnalisation des nouveaux venus."

Pour les nouveaux libraires, la bande dessinée demeure le secteur le plus attractif. Parmi les 37 nouvelles librairies répertoriées, un quart sont des spécialisées BD. Délégué général du groupement Canal BD, qui apporte outils et conseils à ses adhérents, Bruno Fermier constate : "Parmi les 23 adhésions que nous avons enregistrées en 2017, une quinzaine proviennent de librairies créées cette année." Les concepts mixtes s’affirment aussi fortement avec des points de vente de type librairie-galerie d’exposition, librairie-loisirs créatifs, librairie-jeux et jouets, librairie-café, librairie-restauration, librairie-coworking… Ils témoignent non seulement d’une stratégie des entrepreneurs pour élargir leur clientèle et améliorer leur marge, mais aussi de leur volonté de proposer un espace convivial où les gens se sentent bien. Plusieurs, comme Les Rebelles ordinaires à La Rochelle, Les Gens qui doutent à Limoges, Lumière d’août à Marseille ou L’Instant à Paris, proposent un coin café.

Retour à la proximité

Sur le plan géographique, de nombreuses créations interviennent dans les grandes villes comme Paris, Lyon ou Rennes. Mais elles se multiplient, de plus en plus, dans les villes moyennes et petites, avec des projets qui surfent sur un retour à la consommation locale et à la proximité. L’Attrape plume a ouvert dans la petite commune de Dorlisheim (Bas-Rhin), Les Jolis Mots à Vivonne (Vienne), Le Kairn à Arras-en-Lavedan (Hautes-Pyrénées).

Parmi les ouvertures, BD Avenue à Bordeaux et La Librairie des Marquises à Arcachon se démarquent par l’importance de leur surface de vente, de l’ordre de 900 m2 même si, compte tenu des espaces réservés à la restauration, la part du livre n’y dépasse pas 400 m2. Mais on est loin des paquebots comme L’Intranquille, ouvert en 2015 à Besançon sur 1 200 m2, avec 80 000 références en livres, ou même Le Forum Arts & livres, créé en 2016 à Mouans-Sartoux.

Pas de grosse fermeture

Cependant, l’année écoulée n’a pas non plus été marquée par des fermetures spectaculaires, à la lourde charge symbolique, comme La Hune en 2015, et surtout Virgin et Chapitre en 2013 et 2014. Un temps en redressement judiciaire, Sauramps et Sauramps Odyssée à Montpellier comme Gibert Jeune à Paris ont échappé à la fermeture grâce à leur reprise. Les disparitions ont principalement concerné des petites structures confrontées à des difficultés financières ou au départ en retraite de leur gérant, et dont le faible potentiel d’activité n’a pas suscité de désir de reprise.

"Après les grandes angoisses liées aux disparitions des enseignes Virgin et Chapitre, on s’aperçoit qu’il n’y a pas eu de recrudescence de fermetures chez les indépendants ni de tarissement dans les ouvertures, au contraire", observe Guillaume Bugaud. De plus en plus utilisées en librairie, les nouvelles sources de financement participatif issues du crowdfunding n’y sont sans doute pas pour rien, en rendant possibles des ouvertures qui ne l’auraient pas été autrement.

En dépit de sa fragilité économique, le métier de libraire garde son aura. Il attire aussi bien des entrepreneurs venant d’autres univers que le livre que des libraires qui ont été salariés et veulent devenir indépendants. Dans la première catégorie, Nicole Zagouri, ex-directrice financière de PME, Josig Arnal, ex-animateur jeunesse, ou encore Karine Depeyre, ex-gardienne de refuge, ont sauté le pas cette année, créant respectivement Le Phare à Paris, Bulles & jeunesse ! à Vitré et Le Kairn à Arras-en-Lavaudan. Dans la seconde catégorie, Sandrine Ziri, ex-libraire d’Atout Livre, ou Emilie Pautus, ex-codirigeante de La Manœuvre, ont respectivement fondé L’Utopie à Paris et Les Grandes Largeurs à Arles.

Le recours à l’INFL

Derrière ce renouveau des profils, nombre de diffuseurs et responsables commerciaux se félicitent d’une plus grande professionnalisation des projets. Bien sûr, certaines initiatives laissent sceptique, notamment parmi celles financées par crowdfunding. Mais même les projets initiés par des novices témoignent souvent, selon nombre de responsables commerciaux, d’une vision rationnelle de la profession, qui se traduit par le recours aux formations accélérées de l’INFL et, parfois, à l’embauche d’un salarié professionnel.

"Aujourd’hui, les gens qui ouvrent des comptes sont plus réalistes sur le métier et sur ses problématiques, confirme Marc Dalby. Désireux de défendre un projet, ils ont conscience de l’importance du travail de gestion." Reste aux nouveaux patrons à faire leurs preuves sur la durée. C. N.

Un bilan équilibré en Suisse et en Belgique

En Suisse comme en Belgique, la démographie des librairies se révèle étale en 2017. Mais pour les libraires et les diffuseurs, cette stabilité est satisfaisante, voire "miraculeuse", selon Pascal Vandenberghe, le P-DG de Payot en Suisse. "En Suisse romande, indique Josée Cattin, directrice d’Interforum Suisse, le réseau des librairies indépendantes est resté stable cette année, ce qui est une excellente nouvelle." Elle a enregistré deux ouvertures : une généraliste, De Cap et de mots, à Bulle, et une annexe de Librophoros, à dominante universitaire, à Fribourg. Et deux fermetures : Mot de passe et Apostrophes, toutes deux à Neuchâtel.

Le mouvement le plus marquant de 2017 concerne l’annonce de la reprise par Payot de La Librairie, créée par Sylviane Friederich à Morges. Le projet se matérialisera début janvier avec un changement d’enseigne et un déménagement sur une surface à peu près identique de 200 m2.

La stabilité est également de mise en Belgique, selon Christiane Vuidar, déléguée du Syndicat des libraires francophones de Belgique (SLFB). Alors que Page après page a baissé le rideau à Spa pendant l’été, une librairie jeunesse, Marque Tapage, a ouvert en décembre dans un container maritime à Herve. Le changement le plus marquant en 2017 dans la librairie belge a été la transmission de Graffiti à Waterloo, après celle de Pax à Liège l’an dernier. C. N.

 

Transmissions : une année de transition

 

L’année 2017 a vu moins de transmissions de librairies que 2016, mais elle a été marquée par les rachats de Gibert Jeune et Sauramps.

 

Gibert Jeune, place Saint-Michel à Paris, racheté par son voisin Gibert Joseph.- Photo OLIVIER DION

Close sur la cession d’Auréole, à Auray, et sur celle de Bulles en stock à Amiens, "si toutefois nous parvenons à trouver à un accord avant le 31 décembre", précise Quentin Tissot, l’un des deux potentiels repreneurs, l’année 2017, l’une des plus fertiles de la décennie en matière de créations de librairies, n’a pas donné lieu à une multiplication des transmissions. Livres Hebdo en a répertorié 26, contre 32 en 2016. "C’est une année intermédiaire, marquée par une majorité de rachats de librairies petites ou moyennes, confirme Thierry Auger, chargé des librairies au Centre national du livre (CNL), qui a soutenu 12 projets. Pour autant, l’enjeu reste de taille. Si les transmissions représentent un tiers des dossiers, elles occupent la moitié de nos crédits alloués."

Plus faible en nombre de cessions, l’année aura tout de même été marquée par deux rachats spectaculaires au terme de procédures judiciaires. Gibert Jeune (Paris) et Sauramps (Montpellier) ont été sauvés à un mois d’intervalle. Le premier a été repris par son cousin et voisin le plus proche, Gibert Joseph. Ce dernier opère une fusion à forte charge symbolique puisque les deux enseignes n’en formaient qu’une jusqu’en 1929 (1). Le nouvel ensemble, qui comprend les deux plus grandes librairies parisiennes, pèse désormais 154 M€ de chiffre d’affaires, dont 114 dans le livre.

Pour Sauramps, qui compte cinq points de vente dont aussi l’une des plus grandes librairies françaises, la solution est venue de l’extérieur. Après six mois de rebondissements, le groupe montpelliérain a été racheté en juillet par la société immobilière Amétis, qui développe depuis un projet ambitieux avec pour objectif de recouvrer, d’ici à la fin 2018, un chiffre d’affaires de 25 M€ pour un investissement global de 6 à 7 M€ (2).

Atypiques par leur taille et leurs enjeux, ces transmissions sont néanmoins représentatives des processus à l’œuvre sur tout le territoire. La moitié des 26 librairies transmises au cours de l’année ont été rachetées par des librairies existantes ou des libraires en activité, telles Deloche à Montauban, Le Marque-page à Saint-Marcellin ou ex-Gladieux à Paris, reprise par Marija Méresse, qui travaille depuis quatorze ans dans l’entreprise. L’autre moitié a été reprise par des cadres en reconversion, comme Pierre Lenganey (industrie automobile) au Passage à Alençon, Thomas Berrond (enseignant) à la Librairie des Bauges à Albertville ou Catherine Grosjean (documentaliste) chez Nicod à Valentigney.

Les transmissions de librairies spécialisées - un peu plus du quart de l’ensemble - suivent le même modèle. Certaines concernent des enseignes emblématiques, telles Aladin à Nantes, l’une des plus vieilles librairies spécialisées BD, La Luciole à Angers et Rev’en pages à Limoges (jeunesse), pour qui la reprise, actée cet été, fait office de deuxième chance, presque inespérée. C. Ch.

(1) Voir LH 1132, du 2.6.2017, p. 24-25.

(2) Voir LH 1145, du 13.10.2017, p. 30-31.

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