L’impression à la demande se généralise

Installation de l’unité de production d’IAD de Lightning Source France, à Maurepas, en 2010. Ici la relieuse Horizon. - Photo Olivier Dion

L’impression à la demande se généralise

Ça bouge dans la fabrication de livre à l’unité, déclenchée par une commande en librairie : Editis se relance dans cette ligne de production, Hachette Livre la développe depuis quatre ans avec sa filiale Lightning Source.

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Par Hervé Hugueny,
Créé le 20.02.2014 à 19h29 ,
Mis à jour le 21.02.2014 à 11h33

"2014 sera l’année de l’industrialisation de l’impression à la demande, avec 2 000 titres à la fin de l’année. A terme, nous envisageons d’avoir 5 000 à 8 000 références ainsi disponibles, soit 10 à 15 % des fonds des maisons du groupe", annonce Eric Lévy, directeur des opérations d’Editis. Editis travaille sur ce projet depuis plus d’un an, dans le cadre de la réorganisation générale de sa chaîne d’approvisionnement. Quatre cents titres ont été remis en circulation pour la mise au point du programme, "avec un résultat qui nous a surpris : les ventes moyennes se situent à environ 40 exemplaires ", ajoute-t-il. Editis avait déjà testé les très courts tirages avec Bookpole au début des années 2000, du temps de Vup (Vivendi Universal Publishing), alors que la technologie et le marché n’étaient pas mûrs. Surgis entre-temps, les supports numériques n’ont pas supprimé le besoin de papier. Editis n’investit plus en direct cette fois, mais a fait appel à Jouve qui a installé à Mayenne une unité de production spécifique, à l’origine pour le site d’autoédition Lulu.com.

Un élément de la chaîne de production spécialisée de Jouve, à Mayenne. Conçue au départ pour le site d’autoédition Lulu.com, elle produit maintenant aussi des titres d’Editis. - Photo JOUVE

 

Des livraisons en 48 heures.

Si le court tirage reste commandé par l’éditeur, l’IAD (impression à la demande) est déclenchée par un client en librairie, ou sur un site Internet. Chez Hachette, "l’unité d’impression à la demande est complètement intégrée au centre de distribution, ce qui assure des livraisons en 48 heures, exactement dans les mêmes conditions que pour un livre en stock", indique Philippe Lamotte, directeur chargé des relations éditeurs-diffuseurs et du développement d’Hachette Livre Distribution, à Maurepas. Le groupe a créé en 2010 une filiale à parts égales avec Lightning Source - le grand spécialiste américain de cette production -, et a entrepris beaucoup d’efforts de pédagogie et d’explication auprès des éditeurs, puis des libraires, invités à visiter le site. Ces livres n’ayant plus de visibilité physique, la connaissance du fonds est plus que jamais nécessaire.

 

 

2 000 volumes par jour.

Quelque 13 500 fichiers de livres y sont maintenant disponibles. Environ 1 500 à 2 000 volumes sont fabriqués chaque jour ouvré, soit une production annuelle qui peut s’estimer à 400 000 volumes, à un tirage moyen de 1,2 à 1,5 exemplaire (Hachette expédie au total un million de volumes par jour). Lightning Source France n’a cessé d’investir et dispose maintenant de deux presses noir et blanc, bientôt trois, deux pelliculeuses, trois brocheuses, fonctionne en deux-huit, et emploie huit à dix personnes. Les comptes se rapprochent de l’équilibre. "Nous voulons devenir un imprimeur comme un autre", insiste Philippe Lamotte qui cherche maintenant des éditeurs à l’extérieur du groupe. Francis Lefebvre (juridique) et Bragelonne (SF) font partie de ces nouveaux clients, qui ont même lancé des collections dont l’économie repose sur l’IAD. Lightning Source France propose une tarification avec un coût fixe d’entrée, et un prix dégressif en fonction du nombre d’exemplaires imprimés. Prochainement, tout sera imprimable et distribuable à partir des autres sites Lightning Source dans le monde, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et en Australie. Le test commence avec les 66 500 titres libres de droit de Gallica, la base numérisée de la BNF que Lightning Source imprime à la demande.

 

La sélection des titres dépend de l’exposition médiatique de l’auteur ou du sujet, de l’observation du marché de l’occasion, des informations transmises par des libraires ou des sites de vente en ligne, explique Eric Lévy - Amazon a beaucoup d’outils en la matière, la Fnac aussi ou encore Decitre. "Le potentiel commercial du livre doit se situer entre 30 et 70 ventes annuelles. Au-delà, il redevient plus intéressant de relancer un court tirage en numérique, à 200 exemplaires. Il y a de nouveau du stock, mais le coût unitaire est moins élevé", remarque Bruno Gendre, directeur commercial de La Découverte, ajoutant que "les choix dépendent aussi de la disponibilité des fichiers". L’éditeur de sciences humaines, premier utilisateur chez Editis pendant l’année de test, prévoit de doubler le nombre de ses titres en IAD à la fin de l’année, à 300 références. Mais il n’y a pas de livres traduits, les agents refusant pour le moment cette solution d’exploitation. "Et nous évitons aussi les livres illustrés, pour des raisons de coût", ajoute le directeur commercial.

 

5 euros par exemplaire.

Le prix de revient pour un volume de texte avec une couverture quadri atteint environ 5 euros, soit 20 à 25 % de son prix de vente, contre un ratio de 10 à 15 % en offset. Il faut rajouter 3 à 6 euros pour l’expédition dans le cas d’Editis, qui utilise actuellement Chronopost pour la livraison en librairie au départ de Jouve, afin de tenir un délai de six jours au maximum. L’extension du programme supposera une autre solution d’expédition.

 

Xavier Pryen, directeur général de L’Harmattan, a une autre organisation, à mi-chemin entre le stock tampon et l’IAD. Son entrepôt, avec un million de volumes en stock pour 40 000 références, est accolé à l’imprimerie Corlet, ce qui résout le problème d’expédition. "Nous retirons tous les jours 150 à 250 références, en 2 à 50 exemplaires en fonction de la demande anticipée, pour ne jamais être en rupture. "

Chez Editis, le passage à l’IAD entraîne parfois une hausse du prix, pour reconstituer une partie de la marge. "Mais il s’agit de livres recherchés par des lecteurs, qui sont donc prêts à payer un léger surcoût", note Eric Lévy. Plus cher, l’IAD génère toutefois des économies : "Pas de stock, pas d’ouvrage défraîchi, et pas de retour", insiste Philippe Lamotte. C’est aussi un chiffre d’affaires presque sans frais fixe et recréé à partir de titres sans existence commerciale, même s’il est limité. A 40 exemplaires vendus en moyenne 25 euros, les 400 références de l’année de test chez Editis ont généré environ 400 000 euros de chiffre d’affaires en librairie, et 200 000 euros dans les différentes maisons du groupe. C’est encore peu par rapport à l’activité totale du groupe, à 693 millions d’euros en 2012. Mais avec les 5 000 références envisagées à terme, la recette serait d’environ 2,5 millions d’euros, soit presque l’équivalent d’un seul Marc Levy : c’est appréciable, et le signe d’une nouvelle période, où aucune activité n’est plus considérée comme négligeable.

Chez Hachette, avec le même principe de calcul, le chiffre d’affaires généré pour les éditeurs par les 400 000 volumes produits peut s’estimer à 5 millions d’euros l’an dernier, ce qui devient important (le chiffre d’affaires France du groupe était de 748 millions en 2012). Et si la filiale Lightning Source France est encore déficitaire, l’investissement devient rentable pour l’ensemble du groupe, avec la prise en compte des recettes des maisons et de la distribution.

L’impression à la demande suppose aussi quelques aménagements du côté des auteurs : il faut ajouter un avenant aux contrats anciens, dans lesquels l’obligation d’exploitation permanente et suivie se définit par une disponibilité en stock. "Et les libraires doivent être avertis qu’il s’agit de vente ferme. D’où la mention du sigle IAD pour les titres concernés dans la base Dilicom", prévient Bruno Gendre. Chez Hachette, certains éditeurs sont aussi en vente ferme. Il peut donc être prudent de demander des arrhes au client, afin de s’assurer qu’il ne changera pas d’avis et viendra bien retirer le livre commandé.

20.02 2014

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