20 avril > Essai France

Dans son milieu, très fermé, celui des connoisseurs, des historiens de l’art, des collectionneurs et conservateurs de musée, Philippe Costamagna est internationalement connu pour avoir, en 2005, devant un Christ en croix exposé au musée des Beaux-Arts de Nice, sa ville natale, et attribué jusque-là à un petit maître florentin du XVIIe, identifié un chef-d’œuvre de Bronzino (1503-1572), un élève de Pontormo, dont le talent fut salué entre autres par Vasari.

Dans cet exploit, Costamagna ne faisait qu’exercer son métier, fort singulier : il est "œil". C’est-à-dire un amateur d’art, qui, grâce à de solides études (Ecole du Louvre, thèse de doctorat à la Sorbonne sur Pontormo, dont il a tiré un livre, paru en 1995 chez Gallimard), à une fréquentation assidue des musées, à une culture encyclopédique, et à une sorte de don, possède la faculté, non point infaillible mais précieuse, de reconnaître dans une œuvre la main de tel ou tel artiste, peintre ou dessinateur. Tâche encore plus risquée lorsqu’il s’agit de dessins. Notre ami compare son art à celui des "nez" en parfumerie.

Philippe Costamagna, racontant son parcours, se situe dans la tradition des œils modernes, née au XIXe siècle avec les Italiens Morelli et Cavalcaselle, et illustrée, plus près de nous, par Bernard Berenson, Roberto Longhi, et le très excentrique Federico Zeri, véritable diva au caractère ombrageux, fort controversé. Nous en sommes à la cinquième génération de cette profession difficile à cataloguer. D’ailleurs, dans le civil, Costamagna est conservateur, directeur du Palais Fesch-musée des Beaux-Arts d’Ajaccio. Ce qui lui donne à la fois de la distance vis-à-vis de ses pairs et une vraie indépendance. Les rapports entre certains œils et les milieux de l’art (galeristes, commissaires-priseurs, collectionneurs…) ne sont en effet pas toujours limpides, ni irréprochables : on imagine les intérêts financiers en jeu en cas d’attribution d’une œuvre à un maître, à la place d’un obscur tâcheron.

A la fin de son livre, composite, original, modeste, Philippe Costamagna n’évite pas quelques sujets qui fâchent, reconnaît qu’avec les nouvelles technologies son domaine d’élection est en train de changer, mais plaide aussi pour son utilité. Selon lui, qui le met en pratique à Ajaccio, un musée est un outil d’ouverture d’esprit, de cohésion sociale, de culture indispensable pour les jeunes. Malraux, à qui il rend hommage, fut, en son temps, pionnier en ce domaine aussi. Il est vrai qu’il était un sacré œil. J.-C. P.

 

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