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Loi Macron : qui veut travailler le dimanche ?

La librairie Vivement dimanche, à Lyon. - Photo Olivier Dion

Loi Macron : qui veut travailler le dimanche ?

L’élargissement de l’ouverture le dimanche voté à l’Assemblée nationale est diversement apprécié par les libraires selon leur taille et leur localisation. Les bibliothèques qu’Aurélie Filippetti a tenu à inclure restent sceptiques en période de disette budgétaire. L’ex-ministre s’en explique.

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Par Clarisse Normand,
Véronique Heurtematte,
Créé le 27.02.2015 à 11h32

Parmi les différentes mesures du projet de loi "pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques" porté par le ministre de l’Economie Emmanuel Macron et adopté le 17 février par l’Assemblée nationale, celle qui concerne les ouvertures des commerces le dimanche concerne bien sûr directement les libraires. Bien que le repos dominical reste la règle, le texte étend les dérogations, avec notamment l’augmentation de 5 à 12 du nombre d’ouvertures autorisées par les maires, la création de zones touristiques internationales (ZTI) ou encore l’élargissement des zones commerciales (voir l’encadré ci-après). Mais à côté de cet assouplissement, la réforme redéfinit aussi, afin de les harmoniser, les règles concernant le traitement des salariés. Consolidant le principe du volontariat, toute ouverture le dimanche se voit désormais conditionnée par la signature préalable d’un accord collectif de branche, de territoire ou d’entreprise et par l’octroi de compensations, notamment salariales.

"Incontournable" dans les zones touristiques

Des mesures diversement appréciées par les libraires. Pour certains, tel Loïc Ducroquet, directeur de L’Ecume des pages à Paris, "le projet de loi a le mérite d’officialiser la légalité d’un certain nombre d’ouvertures". Faisant partie des très rares librairies installées dans l’une des probables ZTI de Paris, à Saint-Germain-des-Prés, L’Ecume des pages pratique l’ouverture dominicale depuis qu’elle y est autorisée, à la fin de 2001, suite à la classification du quartier en zone touristique d’affluence exceptionnelle. Une ouverture qui fait sens, comme le note l’intéressé, précisant que "c’est la deuxième journée de la semaine en termes de chiffre d’affaires, avec des clients et des achats différents". Chez Bookstore, située aussi dans une zone touristique à Biarritz, Inès Lavigne est formelle : "L’ouverture dominicale est incontournable pour notre équilibre économique. Nous sommes situés sur le parcours de balade pratiqué le dimanche pour rejoindre l’océan. Du coup, nous voyons des gens qui ne viennent pas autrement et surtout ils achètent !"

Toutefois, les mesures d’assouplissement du travail le dimanche laissent de marbre bon nombre de libraires. "Pour beaucoup, à commencer par les généralistes de province, une ouverture dominicale est rarement intéressante sur un plan économique", analyse Matthieu de Montchalin, président du Syndicat de la librairie française (SLF). Plus qu’un élargissement des dérogations, ce dernier ne cache pas qu’il aurait préféré que "soient sécurisées les ouvertures le dimanche matin des librairies situées à proximité de marchés, alors qu’aujourd’hui elles ne bénéficient souvent que de tolérance ne les mettant pas à l’abri de contestations". Défendant le principe du repos dominical, "qui permet de passer du temps en famille, de se balader ou, mieux encore, de lire !", Dominique Fredj, le patron du Failler à Rennes, ne croit pas au potentiel d’activité de son magasin ce jour-là : "Pour que ça fonctionne, il faut qu’il y ait une animation particulière dans le quartier."

Une consommation de report

Au Havre, Serge Wanstok, qui dirige La Galerne dans une zone touristique d’affluence exceptionnelle et pourrait donc ouvrir tous les dimanches, a fait le choix de n’ouvrir que deux dimanches par an, juste avant Noël. Selon lui, une ouverture dominicale élargie ne susciterait pas davantage d’achats. La consommation ce jour-là relèverait plus d’un report, alors que, pour fournir la même qualité de service qu’en semaine, la librairie devra supporter des coûts alourdis par les compensations salariales. De manière très concrète, à L’Armitère à Rouen, Matthieu de Montchalin observe que sur les deux dimanches ouverts dans l’année, avant Noël, seul le second, le plus proche du 25 décembre, se révèle rentable.

A la tête des 16 magasins Furet du Nord, Pierre Coursières relativise lui aussi : "L’ouverture dominicale n’a de sens que si elle génère du chiffre d’affaires additionnel et non pas un étalement des achats sur sept jours au lieu de six… En plus, il faut voir les coûts induits. Autant une ouverture à Aéroville est intéressante pour nous, autant à Lille, dans notre grand magasin, cela n’a rien d’évident." Pour gérer cette question de rentabilité, la plupart des librairies qui pratiquent une ouverture dominicale régulière adoptent ces jours-là une structure allégée. Dans les petits et moyens points de vente, c’est souvent les gérants qui tiennent seuls leur magasin, échappant ainsi aux compensations obligatoires. Les plus grandes structures recourent souvent à des personnes extérieures à l’équipe, notamment à des étudiants.

La Fnac veut aller plus loin

Particulièrement offensives sur cette question d’ouverture, les enseignes réunies au sein du Syndicat des distributeurs de loisirs culturels (SDLC) ainsi que la Fnac entendent aller plus loin et demandent, comme cela vient d’être accordé aux magasins de bricolage, une dérogation de plein droit à la règle du repos dominical pour leurs établissements. Selon Alexandre Bompard, P-DG de la Fnac, une ouverture dominicale de ses magasins augmenterait de 2 % leur chiffre d’affaires.

En attendant, quel que soit le type de dérogation, le travail dominical sera conditionné par l’existence d’un accord collectif préalable fixant les contreparties octroyées aux salariés. "La négociation d’un accord de branche va être un sujet de travail pour le SLF, confirme Matthieu de Montchalin. Le problème est que les commerces qui vendent des livres ne sont pas tous rattachés à la même convention collective. La Fnac, par exemple, est rattachée à celle des produits bruns et non à celle des libraires. Il faudra être attentif aux distorsions de concurrence !"

Mais le projet de loi d’Emmanuel Macron n’est pas encore validé. Il doit être examiné en avril par le Sénat qui risque de le modifier, ce qui l’amènera à être renvoyé en commission mixte paritaire. C. N.

Les nouvelles règles

1. 12 dimanches autorisés par les maires au lieu de 5.

Contreparties : rémunération double et repos compensateur.

2. 52 dimanches et le soir jusqu’à minuit dans les futures zones touristiques internationales, délimitées par les ministreschargés du Travail, du Tourisme et du Commerce, et dans 12 gares d’affluence exceptionnelle. L’Etat va créer des zones touristiques internationales. Sont pressentis certains quartiers à Paris (Champs-Elysées, boulevard Haussmann, Saint-Germain-des-Prés, incluant Le Bon Marché et le marché Saint-Germain, rue Saint-Honoré, les places Vendôme et de l’Opéra…), ainsi qu’à Nice, Cannes et Deauville. Les 12 gares sont celles de Paris (Saint-Lazare, Montparnasse, Austerlitz, gares de Lyon, du Nord et de l’Est), Bordeaux, Marseille, Montpellier, Nice, Avignon TGV et Lyon Part-Dieu.

Contreparties pour le soir (de 21 heures à minuit) : rémunération double et repos compensateur ; pour le dimanche : à négocier avec les partenaires sociaux.

3. 52 dimanches dans les zones commerciales et touristiquesdélimitées par les préfetsà la demande des maires.

Les 41 Puce (périmètres d’usage de consommation exceptionnel) créés dans les agglomérations de plus d’un million d’habitants (Paris, Lille et Marseille, sauf Lyon) deviennent des zones commerciales qui pourront être élargies, notamment aux espaces frontaliers. Au nombre de 640, les communes d’intérêt touristique ou thermal et les zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente sont rebaptisées zones touristiques, et les ouvertures dominicales s’accompagnent désormais de compensations.

Contreparties : à négocier avec les partenaires sociaux. C. N.

 

Les bibliothécaires dubitatifs

 

L’amendement à la loi Macron déposé par Aurélie Filippetti impose les bibliothèques dans la concertation des élus sur l’ouverture des commerces le dimanche. Une initiative qui laisse sceptiques professionnels et élus.

 

Le Volcan de Niemeyer au Havre. A droite, le "petit volcan" qui abrite la bibliothèque Niemeyer dont l’ouverture le dimanche a été promise par le maire.- Photo WASSIL/WIKIMEDIA COMMONS

Aurélie Filippetti, ancienne ministre de la Culture, députée en Moselle, a suscité la surprise, et beaucoup de critiques, en proposant dans le cadre de la loi Macron un amendement concernant les bibliothèques. Voté le 14 février, cet amendement oblige les conseils municipaux à inclure la question des bibliothèques dans les débats concernant l’ouverture des commerces les dimanches. "Au cours du mois difficile qu’on a traversé, on a insisté sur l’importance qu’il y avait à donner accès aux jeunes à la culture, à l’éducation aux livres. Les médiathèques sont l’un des lieux de transmission du savoir et d’émancipation individuelle, a plaidé l’ancienne ministre. C’est un sujet d’intérêt général. Cela n’entrave nullement la libre administration des collectivités territoriales." Aurélie Filippetti, qui avait décrété 2014 comme l’année des bibliothèques lors de son séjour rue de Valois, a toujours montré un vif intérêt pour la lecture publique. Sa récente initiative laisse cependant nombre d’interlocuteurs dubitatifs. "C’est toujours une bonne chose de lancer ce type de débat, souligne Anne Verneuil, présidente de l’ABF (Association des bibliothécaires de France). Cela permet de rappeler que les gens peuvent avoir des activités autres que commerciales le dimanche. Par ailleurs, les attentats contre Charlie Hebdo ont mis en évidence qu’il existait un réel déficit d’outils d’éducation à la citoyenneté en France. On a immédiatement pensé au rôle que pouvaient jouer les bibliothèques."

L’amendement pose de nombreuses questions. La principale concerne le paradoxe que constitue le fait d’inscrire dans une loi nationale un domaine qui relève de la compétence des collectivités locales : sa portée risque d’être purement symbolique, puisque les élus auront obligation de mettre à l’ordre du jour l’ouverture des bibliothèques le dimanche uniquement lors de la première concertation sur les "dimanches du maire". "Cet amendement est une bonne chose car cela va permettre d’inscrire la question de manière officielle, explique Anne Verneuil. Cependant, cela risque de ne pas changer grand-chose. Les élus motivés ont déjà mené cette réflexion et pris des initiatives."

Du côté des élus, notamment ceux de l’opposition, la critique est plus incisive. Au Havre, la discussion autour de l’ouverture le dimanche de la future médiathèque dans "le petit Volcan" de Niemeyer, entièrement réhabilitée, a conduit depuis l’automne dernier à plusieurs mouvements de personnels. "Les agents ne contestent pas le principe d’ouverture du dimanche mais il y a une discussion sur les modalités de sa mise en œuvre", précise Edouard Philippe, maire UMP du Havre, qui a la dent dure concernant l’amendement : "L’ouverture du dimanche était un engagement de ma campagne aux élections de l’année dernière. J’ai été réélu, j’ai donc mandat pour l’appliquer. Cet amendement est incompréhensible. Sa portée sera nulle."

A Metz, ville dans laquelle Aurélie Filippetti est conseillère municipale, la bibliothèque, qui n’est pas ouverte le dimanche, a vu son budget d’investissement divisé par deux cette année. Une situation dont l’ancienne ministre rend responsable le gouvernement. V. H.

Aurélie Filippetti : "La lecture publique doit être une priorité"

 

L'ex-ministre de la Culture explique le sens de son amendement sur les bibliothèques.

 

"Le gouvernement ne doit pas donner de l’argent seulement pour renforcer les services de police, mais également les bibliothèques." Aurélie Filippetti- Photo OLIVIER DION

Aurélie Filippetti - Oui, très surprise. Cet amendement aurait dû recevoir un large consensus. Nous avons un réseau de bibliothèques unique au monde, il faut le rendre accessible. L’ouverture du dimanche est un engagement que j’avais pris quand j’étais ministre. Cet amendement est une incitation et une légitimation de cette question.

Sa portée est symbolique mais c’est aussi un encouragement à lancer le débat lors de la première année des discussions sur l’ouverture des commerces le dimanche. Aujourd’hui, il existe une inégalité entre les citoyens qui ont accès à une bibliothèque ouverte le dimanche et les autres. Les collectivités territoriales investissent beaucoup dans les bibliothèques, il faut qu’elles investissent également dans l’élargissement de leur accès.

Je n’ai pas voté le budget de l’Etat justement parce que j’étais opposée à la baisse de la dotation de l’Etat aux collectivités territoriales. Aujourd’hui, ces dernières doivent faire de la lecture publique une priorité. Et suite aux attentats à Charlie Hebdo, le gouvernement ne doit pas donner de l’argent seulement pour renforcer les services de police, mais également les bibliothèques.

Cette baisse est la conséquence de la baisse des dotations de l’Etat. Mais le maire, Dominique Gros, souhaite qu’une première discussion sur l’ouverture soit à l’ordre du jour du prochain conseil municipal.

Propos recueillis par V. H.


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