Nouvelles TRADUCTIONS

Mark Twain et Francis Scott Fitzgerald, deux géants d'Amérique

Mark Twain et Francis Scott Fitzgerald, deux géants d'Amérique

Publiée pour la première fois en 2010 aux Etats-Unis, L'autobiographie de Mark Twain, l'écrivain de l'Amérique telle qu'elle se rêve, fait figure d'événement à la veille de l'élection présidentielle, tout comme la nouvelle traduction en "Pléiade" de l'ensemble de l'oeuvre de Francis Scott Fitzgerald, autre écrivain mythique de l'Amérique.

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Par Laurent Lemire,
Créé le 10.10.2014 à 15h40 ,
Mis à jour le 12.10.2014 à 21h11

On la sentait un peu américaine, cette rentrée. A cause de l'élection présidentielle de novembre prochain, à cause du 10e anniversaire du festival America de Vincennes, à cause surtout de deux géants qui font leur retour en librairie : Mark Twain (1835-1910) et Francis Scott Fitzgerald (1896-1940).

Francis Scott Fitzgerald en 1920.- Photo ULLSTEIN BILD / ROGER-VIOLLET

Le second avait 14 ans à la mort du premier. Mark Twain n'était pas alors vénéré comme l'écrivain qui représentait "vraiment" l'Amérique dans sa brutalité et sa grandeur. Il faudra attendre dix ans pour que l'auteur des Aventures de Tom Sawyer et d'Huckleberry Finn accède à ce statut.

Mark Twain, photographié par A.F. Bradley en 1907.- Photo A. F. BRADDLEY/WIKIMEDIA COMMONS

Lors des quinze dernières années de sa vie, l'écrivain travailla à son autobiographie. Il avait précisé qu'elle ne devait paraître que cent ans après sa mort. Ce qui fut fait aux Etats-Unis en 2010. Voici donc chez Tristram sa traduction française par Bernard Hoepffner, qui s'est régalé à transmettre le maelström d'une vie. "On y retrouve tout Twain, du plus lyrique au plus critique, et même le méchant, en passant par les très belles pages sur la mort de sa femme et de sa fille."

A travers son histoire personnelle, Twain raconte celle de l'Amérique. Normal, dira-t-on, il l'incarne tellement ! Il est ce qu'on appelle un "self made man", un homme qui a à peu près tout fait avant de devenir typographe et d'être saisi par la passion de l'écrit.

A partir de 1906, Samuel Langhorne Clemens, alias Mark Twain, dicte chaque jour ses souvenirs. Ils sont intégrés à cette autobiographie composite aux côtés des textes écrits, des coupures de presse, des bribes d'essais et même du portrait par sa fille Susy. Tout ceci pour donner à sa démarche un air inédit. "J'ai l'intention de faire de cette autobiographie un modèle pour toutes les autobiographies futures."

Grant, Jeanne d'Arc, Huck Finn

Dans ce premier volume - deux autres sont à venir -, on croise le général Grant, Jeanne d'Arc, le vrai Huck Finn et Robert Louis Stevenson. On voyage aux Etats-Unis, bien sûr, mais aussi en Europe, à Londres, à Vienne et à Florence où Twain eut la révélation sur la bonne manière de composer son autobiographie.

Il faut "la commencer à un moment qui n'a rien de particulier dans sa vie ; se promener librement dans toute sa vie ; ne parler que des choses qui sont intéressantes à l'instant ; laisser tomber dès que l'intérêt commence à baisser et diriger la conversation vers la nouvelle chose bien plus intéressante qui s'est introduite entre-temps dans l'esprit."

Cette façon de faire très particulière ajouta une difficulté supplémentaire pour le traducteur Bernard Hoepffner. "Elle réside dans la diversité de ton de tous ces textes qu'on ne peut pas traduire de la même façon. Mark Twain avait pris soin de garder les fautes de la biographie de lui qu'avait rédigée sa fille très jeune, et il faut bien montrer cela aussi en français. Mais comme dans ses propres textes Mark Twain se laisse aller, des souvenirs d'enfance aux nouvelles du jour et à la critique de la société dans des styles divers, il faut faire attention à ne pas tout ramener à un seul style, celui du traducteur."

Il y eut dans des revues quelques publications de chapitres choisis par Twain et des extraits après sa mort. Le texte publié aujourd'hui est complet et aussi proche que possible de ce que voulait l'auteur, bien qu'il n'ait laissé aucune instruction précise. Les trois volumes sont consultables en anglais sur la Toile via le Mark Twain Project Online (www.marktwainproject.org). C'est aussi sur ce site que l'on trouve toute la documentation et les raisons qui ont privilégié une version plutôt qu'une autre. Une sorte d'appareil critique en ligne, en quelque sorte.

Pudeur. Le premier de ces trois volumes s'est vendu à plus de 500 000 exemplaires outreAtlantique. C'est dire l'attente aux Etats-Unis à l'égard de cet homme torturé, qui veut dire sans aller trop loin, un homme qui cherche quelquefois à se dissimuler dans la biographie des autres, comme c'est le cas avec Jeanne d'Arc. Dire le plus mais ne pas tout lâcher. Twain a sa pudeur. Mais il prend goût à ces dictées régulières qui lui libèrent l'esprit.

Francis Scott Fitzgerald, c'est l'inverse. Il n'a rien fait avant d'écrire. C'est l'autre Amérique, insouciante, fêtarde, celle d'avant la crise de 1929 qui finit aussi par plonger dans la tourmente. Pour la parution de ces deux volumes de Romans, nouvelles et récits, tout a été revu sous la direction de Philippe Jaworski.

"Les traductions vieillissent, toutes."

"Tous les textes ont été retraduits. Pour plusieurs raisons. D'abord, parce que les traductions vieillissent, toutes. Ensuite, parce qu'il importe, dans une édition de ce genre où sont regroupées les productions ou presque de toute une vie d'écrivain, de rechercher une certaine homogénéité dans la manière dont la langue de l'écrivain est rendue dans la nôtre. Les traducteurs sollicités pour cette édition sont des praticiens chevronnés de la traduction, tous de formation universitaire, fins connaisseurs de la culture qui était celle de Fitzgerald. Il y a un esprit de famille, si je puis dire, dans ces traductions : nous partageons les mêmes exigences, et, comment dire, une même sensibilité. C'est beaucoup. En tout cas, cela me paraît indispensable pour donner au lecteur le sentiment que, lorsqu'il passe d'un livre à l'autre, c'est toujours au même auteur qu'il a affaire..."

Ce même auteur admira le Huckleberry Finn qu'il considérait comme le premier voyageur intérieur des Etats-Unis. Et c'est chez Twain que Fitzgerald trouva l'argument de sa nouvelle L'étrange histoire de Benjamin Button lorsqu'il lut cette réflexion: "Quel dommage que la meilleure partie de notre vie commence par le début et la pire par la fin. La vie serait bien plus heureuse si nous naissions à 80 ans et nous approchions graduellement de nos 18 ans."

Au fond, nous avons affaire à deux réalistes, deux mythes littéraires qui sont devenus des classiques. Ils disent les choses comme elles sont en sachant qu'elles ne le sont déjà plus. L'Amérique change sous leurs yeux et ils la montrent à leur façon. Twain utilise de jeunes adolescents, Fitzgerald de vieux adolescents.

Philippe Jaworski, qui se consacre à Twain pour une prochaine "Pléiade", explique le lien entre ces deux géants. "Fitzgerald a dit une fois son admiration pour Huckleberry Finn, où il voyait Twain regarder depuis l'Ouest vers ce qu'il appelle "la république". C'est là un point intrigant, parce que l'Ouest de Fitzgerald n'est pas celui de Twain, qui est le Sud-Ouest des années 1830, anarchique, esclavagiste sans trop de dureté. Et la géographie "littéraire" de l'enfant de Saint-Paul ne se limite pas à cet Ouest catholique et bourgeois, mais inclut le Sud des Etats côtiers, d'où la branche paternelle était originaire, et qui joue un rôle symbolique de référence morale dans Tendre est la nuit. Mais sans doute ont-ils en commun ce besoin de fouiller le présent empli de bruit et de fureur que l'histoire américaine leur a donné, à la recherche d'un âge d'or, d'une innocence perdue, d'un monde vrai." Un monde vrai rendu par une écriture qui sonne juste. Que demander de plus..?

L'autobiographie de Mark Twain : une histoire américaine de Mark Twain, traduit de l'américain par Bernard Hoepffner, Tristram, 840 p., 29,50 euros. ISBN : 978-2-907681-96-4. En librairie le 13 septembre.

Romans, nouvelles et récits de Francis Scott Fitzgerald, sous la direction de Philippe Jaworski, traduits de l'américain avec la collaboration de Marc Amfreville, Pascale Antonin, Véronique Béghain, Antoine Cazé, Marc Chénetier, Agnès Derail-Imbert, Marie-Claire Pasquier, Cécile Roudeau et Christine Savinel, Gallimard, "Bibliothèque de la Pléiade", tome 1, 1 650 p., ISBN : 978-2-07-013175-5 ; tome 2, 1 790 p., ISBN : 978-2-07-013746-6 ; coffret 2 vol., ISBN : 978-2-07-013769-5. En librairie le 20 septembre.

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