31 août > Roman Italie > Alessandro Piperno

Matteo est de retour. Et ce n’est une bonne nouvelle que pour lui. Matteo Zevi. La cinquantaine égarée, le charme d’un diable dont la séduction se composerait d’abord du souvenir de celle que sa jeunesse exerçait, quatre femmes, deux enfants, un prince paresseux dont l’inadaptation au monde lui paraît moins grave que celle que le monde semble entretenir à son égard. Fils d’une respectable famille romaine ayant compté en son sein avocats, philosophes, scientifiques et rabbins, Matteo, ayant contracté une dette dont le remboursement s’avère impossible, a dû quitter précipitamment l’Italie et rejoindre la Californie pour fuir son créditeur. A la mort de celui-ci, seize ans et deux mariages plus tard, le voilà de retour, plus charmant et inconséquent que jamais. Un peu vieilli certes, toujours odieux d’égoïsme et de charme mêlés, mais décidé à prouver que pour des hommes tels que lui le temps, après tout, ne passe pas vraiment. Sa deuxième femme, Federica, ne demande qu’à s’en laisser convaincre. Son meilleur ami, Tati, en est déjà persuadé. Ses enfants, Giorgio, né d’un premier lit, et Martina, fille de Federica, semblent plus circonspects. En fait, son fils, qui s’apprête à devenir lui-même père, ne veut plus le voir, et sa fille, elle-même aux prises avec une grande confusion personnelle et le trouble qu’elle ressent à propos de sa belle-sœur, Benedetta, sœur de son jeune mari, n’accepte de lui parler qu’avec réserve et un sentiment dont il peine à s’avouer qu’il n’est qu’indifférence… Qu’importe, Matteo est l’un de ces hommes pour qui le réel doit se plier à l’idée qu’il en a et tout devra bien se passer. Bien entendu, ce ne sera pas si simple.

Cette comédie sentimentale, amère, mélancolique, furieusement drôle et contemporaine à la fois, c’est donc Là où l’histoire se termine, le quatrième roman d’Alessandro Piperno. Depuis Avec les pires intentions (Liana Levi, 2005) en passant par le diptyque Persécution et Inséparables (Liana Levi, 2011 et 2012), Piperno ne chante que dans son arbre, dont les branches maîtresses seraient Rome, la judéité, la bourgeoisie et l’histoire contemporaine (et comment aussi, rien de tout cela ne marche plus très bien). Au fond, rien d’étonnant à ce que ce grand lecteur de Proust compose à sa façon une Recherche dont le volet d’aujourd’hui, tout en restant fidèle à ces obsessions premières, surprendra par un ton nouveau, une tendresse pour les personnages qui n’a pas toujours été au rendez-vous des livres précédents. Bien sûr, le propos reste grave (et même finalement assez désespéré) et son ambition élevée. Il sera beaucoup question, comme toujours chez Piperno, des pères et des enfants, de la danse de mort que les uns prodiguent aux autres, au-delà, des aléas de la famille et de la transmission, des héritages que l’on ne peut refuser tout à fait. Et plus encore de terres promises et de terres à jamais perdues, de l’errance sans fin des chassés du paradis. En somme, Alessandro Piperno, magnifique écrivain, très singulier dans le paysage littéraire italien qui tend parfois à lui préférer plus sentencieux, écrit avec la verve d’un Mordecai Richler des contes métaphysiques à la Bellow. Ce n’est pas donné à tout le monde et c’est magistral. Olivier Mony

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