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Menace sur le prix unique en Grèce

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A la veille du Forum de Chaillot, “Avenir de la culture, avenir de l’Europe”, organisé les 4 et 5 avril à Paris par la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, Stavros Petsopoulos, directeur des éditions Agra (Athènes) et Micheline Bouchez, ex-attachée du livre à l’ambassade de France, lancent un appel pour défendre le prix unique du livre dans le pays qui occupe actuellement la présidence du Conseil de l’Union européenne.

Stavros Petsopoulos

La proposition de loi visant à “assouplir” le prix unique du livre, introduit fin 1997 en Grèce et étendu au livre numérique en 2010, sera soumise par le gouvernement aux parlementaires grecs fin mars. En effet, après sept mois de négociations avec la Troïka, un accord permettra au gouvernement grec de bénéficier d’un prêt d’un montant de 11,8 milliards d’euros. En contrepartie, le gouvernement s’engage à appliquer tout un ensemble de mesures visant, en un article unique, tout aussi bien la réduction des cotisations patronales que le lait, les médicaments ou… les livres. Ainsi relégué au rang de simple bien de consommation, le livre perd en Grèce son statut de bien culturel.
 
Dévoilé mercredi par la presse, ce nouvel accord avec la Troïka prévoit l’abandon du prix unique du livre pour tous les livres… sauf ceux de littérature qui représentent environ 20% de la production éditoriale mais qui ne couvrent que 8 à 10% de l’activité d’un éditeur. Les essais, les sciences humaines, les livres d’art, les livres pratiques, les livres jeunesse, les sciences, les manuels scolaires en seront exclus. Le prix fixe serait maintenu pour le premier tirage, notion pour un éditeur bien évidemment à géométrie variable selon qu’il s’agit d’une publication de poésie ou d’un best-­seller. Jusqu’à présent le prix unique s’appliquait aux livres publiés ou réimprimés dans les deux ans après la date de fixation de prix. Les livres pouvaient ensuite faire l’objet de rabais. Actuellement, la TVA s’élève à 6,5 % contre un taux réduit de 13 % et un taux normal de 23% pour les autres biens.
 
Devant l’imminence de la décision voulue par le Premier ministre et la Troïka, la fédération grecque des libraires et des éditeurs s’était mobilisée une dernière fois le lundi 17 mars lors d’une réunion de crise pour rappeler à un public de professionnels et de politiques, les conséquences fatales de  l’abandon du prix unique pour le pays: concentration éditoriale, diminution de l’assortiment et… augmentation des prix pour contrebalancer les prix bas, fermeture des librairies indépendantes concentrées majoritairement à Athènes et Thessalonique (environ 1500). Ce démantèlement en bonne et due forme avait été précédé en 2012 par la fermeture de Ekemel (Centre européen pour la traduction de la littérature et les sciences humaines) suivie en 2013 par celle de Ekebi, le Centre national du livre grec.
 
L’appel à l’action est urgent. Il en va de la survie d’un réseau dense de librairies et d’éditeurs indépendants (à près de 90%) générateur d’emplois sur l’ensemble du territoire; des éditeurs qui publient des titres de qualité et disposent d’assez de place pour avoir un fonds. Faut-­il rappeler la spirale engendrée par la crise économique en Grèce depuis plusieurs années: fermeture de librairies, arrivée massive des soldeurs, impôts nouveaux, impayés, diminution des fonds, prolifération des nouveautés au détriment du fonds pour éviter le stockage?
 
L’assèchement économique est toutefois loin de refléter la réalité sociale, car la vie intellectuelle bouillonne en Grèce actuellement. Malgré la crise, de nouvelles librairies indépendantes voient le jour et accueillent de nombreuses lectures d’auteurs grecs et étrangers. Pourtant, à l’heure où l’on prévoit  d’instaurer un prix fixe pour le livre numérique en Europe en vue d’assurer le maintien de la diversité éditoriale et l’existence de la librairie, on ne peut rester passif devant la suppression annoncée du prix unique du livre en Grèce. La bataille du livre, comme le soulignait Alain Beuve-­Méry dans Le Monde, passe par une double action: avoir une plus grande force de persuasion auprès des commissaires européens et nouer des alliances avec d’autres pays sur les enjeux culturels. Pourquoi pas avec la Grèce ?

Le ministère de la Culture grec, quant à lui, tarde à se prononcer.

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