31 octobre > Essai France

En cette période de résurgence de la question identitaire, le choix du chantre du nationalisme, Maurice Barrès (1862-1923), député boulangiste, antidreyfusard virulent, vieil académicien réactionnaire, peut sembler soit opportuniste soit plutôt risqué. Pourtant le dernier livre d’Antoine Billot, Barrès ou La volupté des larmes, n’est ni mû par les préoccupations de l’air du temps ni par le goût de la provocation. Très personnel, ce texte s’est achevé entre les disparitions de deux êtres chers à l’auteur, « deux des principales figures de [son] existence » : son père à qui il avait prévu, dès le début du projet, de le dédicacer, et son éditeur et ami J.-B. Pontalis qui lui avait soufflé l’idée d’un tel ouvrage. Antoine Billot tire le fil chronologique de la vie de Barrès, de sa naissance en Lorraine dans un milieu de «rentiers bonapartistes» à la mort du « maître » admiré jusque dans les rangs de ses opposants politiques - Léon Blum rendra un vibrant hommage lors de l’inauguration d’un monument à la gloire de l’écrivain du Roman de l’énergie nationale. Claire la mère tendre, Joseph-Auguste ingénieur et père distant d’ascendance auvergnate, le spectre héroïque du grand-père paternel chevau-léger de l’armée de Napoléon Ier, le traumatisme de la défaite française contre la Prusse à Sedan, les romans de Walter Scott, le cauchemar du pensionnat… Le décor de l’enfance et de la jeunesse est planté comme celui des premiers pas à Paris, où l’auteur du Culte du Moi, qui « affirme les droits de la personnalité contre tout ce qui se conjugue pour l’entraver », est célébré comme «prince de la jeunesse». Le sang neuf, cette sève grosse d’une volonté de renouveau, pleine d’égard pour les sans-grade (le paradoxal parcours politique de Barrès dessine un arc qui va d’un extrême à l’autre), s’épaissit en une bile noire puisant sa nourriture dans «l’intimité nationale», l’humus des ancêtres : la terre, la tradition, les morts. « Le corbeau » lorrain (Barrès a les cheveux très noirs) devient « le rossignol des carnages», le champion des pires causes. Affaire Dreyfus, bien sûr, où, selon lui, l’Armée ne saurait être attaquée… «Comment l’auteur d’Un homme libre a-t-il pu devenir le propagandiste de L’Echo de Paris ? » se demandent en 1921 André Breton et les avant-gardistes dans un faux procès dada.

Barrès c’est l’homme des mauvais choix, le Don Quichotte antiprogrès. Mais ce roman biographique, espèce hybride typique de la collection du regretté Pontalis « L’un et l’autre », au-delà de ses accents d’apologie lyriques, est une réflexion sur la façon dont la politique (l’idéologie et ses aveuglements) est avant tout inscrite dans le corps. Le corps et l’âme - ils ne font qu’un chez Barrès - de l’écrivain inquiet, hanté par cette intuition première d’un grand rien et rassuré par rien sinon la certitude des racines : « le lieu organique de la nation où s’exprimait l’alliance des morts et de la terre, sans eux, sans elle, il ne serait qu’un enfant, sans père, un orphelin, un apatride. » S. J. R.

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