13 SEPTEMBRE - ROMAN Inde

Aravind Adiga- Photo DR/BUCHET-CHASTEL

Après Le tigre blanc, son premier roman événement qui avait obtenu en 2008 le Booker Prize, le jeune et brillant Aravind Adiga avait publié un livre un peu en mineur, Les ombres de Kittur (1), galerie de portraits des habitants d'une petite ville imaginaire de l'Inde du Sud. Le voici qui revient au roman-fleuve, à l'aune de son sujet : rien de moins que Mumbai, la mégalopole tentaculaire, la cité de tous les superlatifs. Beaucoup d'écrivains, autochtones ou étrangers, ont écrit sur elle, mais personne comme ce Tamoul de Chennai (ex-Madras), qui y vit, ne l'a ressentie, exprimée si fort. Le dernier homme de la tour pourrait bien être pour Bombay - l'ancien nom de la ville avant la "réindianisation" onomastique décrétée par le gouvernement nationaliste hindou du BJP lorsqu'il était au pouvoir - ce que L'immeuble Yacoubian d'Alaa El-Aswany est au Caire : une parabole, un symbole. Aussi noir, et la tendresse en moins.

L'histoire se déroule sur quelques mois, de mai à décembre, dans la tour A d'un ensemble immobilier du quartier de Vishram, dans le secteur de Vakola. Là où habite Aravind Adiga lui-même - ce qui n'est bien sûr pas un hasard. Jadis, en 1959, quand le pandit Nehru était Premier ministre à Delhi et que cette tour fut construite, avec sa soeur jumelle la tour B, Vakola était une banlieue très "pucca" (correcte, petite-bourgeoise), non loin de l'aéroport domestique de Bombay. La tour A avait été prévue à l'origine pour loger des chrétiens, mais des habitants de toutes religions, communautés et castes finirent par y vivre en harmonie, organisés en une "coopérative immobilière" gérant démocratiquement la collectivité, sous la houlette de M. Kothari, son secrétaire débonnaire et bénévole. Mais le personnage marquant de l'immeuble, c'est M. Yogesh Murthy, veuf et professeur en retraite, un brahmane du Kerala qui a dispensé gratuitement son savoir à des générations d'enfants. Tout le monde l'appelle "Masterji", le respecte et l'honore.

Jusqu'au jour où, le prix de l'immobilier flambant à Mumbai de façon démentielle, Sharmen Shah, un promoteur véreux parmi tant d'autres, doté du sens inné du business des Gujarati, décide de racheter le quartier Vishram, de raser les tours A et B, afin d'y construire un complexe babylonien. Le rêve de sa vie. Pour ce faire, il dispose de fonds quasi illimités et, lorsque l'argent ne suffit pas, n'hésite pas à recourir à la persuasion, même musclée. Petit à petit, tous les copropriétaires acceptent son offre et s'en vont. D'abord de la tour B. Dans la tour A, un seul résiste encore et toujours à l'envahisseur, préférant mourir dans son vieil immeuble déglingué qu'être relogé au milieu de nulle part. Ce vieil éléphant, on s'en doute, n'est autre que Masterji. Et sans son accord, la transaction ne peut aboutir !

Sharmen Shah a fixé son ultimatum au 3 octobre. Après quoi, tous les moyens sont possibles : harcèlement, persécutions, cambriolages, agressions... Meurtre ? Le combat est inégal, et avec la tour A, c'est encore un peu de l'Inde de ses fondateurs, modeste, honnête et laborieuse, qui disparaît. Pour laisser place à la folie "mumbayenne".

(1) Publié chez Buchet-Chastel en 2011 et qui vient de paraître en 10/18, où il rejoint Le tigre blanc.

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