ANNIVERSAIRE

Naguère d'Algérie

Le 7 mars 1962, à l'annonce du résultat du référendum qui approuve l'indépendance de l'Algérie. - Photo KEYSTONE-FRANCE/GAMMA

Naguère d'Algérie

Plus de cent livres sont programmés à l'occasion du 50e anniversaire de la fin de la guerre d'Algérie : essais, témoignages, récits, livres pour enfants, romans... Où l'on remarque qu'une histoire de la colonisation émerge à côté de celle du conflit.

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Par Catherine Andreucci,
avec Créé le 17.02.2015 à 17h07

Cinquante ans après la fin de la guerre d'Algérie et l'indépendance du pays, subsiste le sentiment d'un silence tenace sur une période qui a pourtant donné lieu à d'innombrables livres et quantité de recherches universitaires. C'est un des grands paradoxes de la mémoire de ce conflit et de la colonisation. Des acteurs et des témoins sont encore vivants, les souvenirs restent douloureux et les échos continuent de traverser les débats publics et politiques. La censure dont a fait l'objet l'article de l'historien Guy Pervillé, "1962 : fin de la guerre d'Algérie", dans le livret officiel des Commémorations nationales 2012, montre l'embarras persistant de la classe politique à l'égard d'une guerre qui n'a été reconnue comme telle qu'en 1999.

Deux millions de soldats français

Dès 1996, dans Le dictionnaire des livres de la guerre d'Algérie (L'Harmattan), l'historien Benjamin Stora, dont les ouvrages de référence suscitent toujours de virulentes réactions de la part d'anciens partisans de l'Algérie française, recensait pas moins de 2 200 publications. Le flot ne s'est pas tari depuis, et plus d'une centaine d'ouvrages sont annoncés pour ce 50e anniversaire (1). Le foisonnement "s'explique par l'importance de cette histoire dans la société française", rappelle l'historienne Sylvie Thénault, qui vient de publier Violence ordinaire dans l'Algérie coloniale : camps, internements, assignations à résidence (Odile Jacob) : "Pas loin de deux millions de soldats français ont été envoyés en Algérie entre 1954 et 1962 ; entre 600 000 et 700 000 Français d'Algérie ont été rapatriés à la fin de la guerre ; les harkis se comptent, eux, en dizaines de milliers ; il y a aussi la présence des immigrés algériens en France. Une proportion considérable de personnes ont aujourd'hui une connexion personnelle avec cette histoire."

Si la guerre elle-même nourrit l'essentiel des livres, c'est la période coloniale qui fait l'objet des publications les plus imposantes. La Découverte, éditeur de référence sur l'Algérie, publiera le 27 avril une somme de 750 pages. Histoire de l'Algérie à la période coloniale. 1830-1962 réunit plus de 80 contributeurs français et algériens, mais aussi anglo-saxons, sous la direction d'Abderrahmane Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou, Ouanassa Siari Tengour et Sylvie Thénault, et sera coédité en Algérie par Barzakh. "Depuis les volumes de Charles-André Julien et de Charles-Robert Ageron dans les années 1960, il n'y a plus eu de synthèse de cette ampleur. Nous avons conçu un ouvrage franco-algérien pour une histoire critique et apaisée, qui puisse être lu surtout par des non-spécialistes", explique François Gèze, P-DG de La Découverte, qui souligne : "Le tabou s'est déplacé sur la période coloniale. Plus je publie sur ces questions, plus je me rends compte à quel point la société française est malade de ne pas avoir assumé son histoire de la guerre d'Algérie. Quand on étouffe cela, le réel ressort, par le racisme, la xénophobie, les discriminations..."

Autre livre de référence, La France en Algérie, 1830-1954 de Guy Pervillé (Vendémiaire) paraît le 7 mars. "Depuis que les archives de la guerre d'Algérie se sont ouvertes, en 1992, beaucoup de travaux portant sur la guerre elle-même ont un peu détourné l'attention de la période antérieure. J'ai voulu montrer ce qu'il y avait avant", explique l'auteur qui a débuté ses recherches sur la politique coloniale de la France dès les années 1980. L'historien Jean-Jacques Jordi réalise une Histoire des pieds-noirs (Armand Colin). Fayard publie L'Algérie des années trente : rapport à la direction des Affaires indigènes, un document rédigé en 1932 par l'administrateur Augustin Eugène Berque.

"Donner la parole"

"Un certain nombre de chercheurs se caractérisent par une approche très humaine, avec l'obsession de donner la parole aux deux côtés, d'essayer de croiser les discours pour faire surgir une vérité. Ce n'est pas une histoire idéologique, pour dénoncer l'un ou l'autre", analyse Christophe Guias, chez Payot, qui a publié des livres en 2011 et attendra l'automne 2012 pour les prochains, afin de ne pas les noyer dans le flot des commémorations. "Dans beaucoup de travaux, on retrouve la question de la mémoire", ajoute-t-il.

La mémoire des anciens appelés pendant la guerre d'Algérie était, elle, encore enfouie et très souvent tue dans les familles. "Depuis quatre ou cinq ans, je reçois des dizaines de manuscrits d'anciens soldats qui ont aujourd'hui 70 ou 80 ans, arrivent à la fin de leur vie et se mettent à parler", souligne François Gèze, P-DG de La Découverte. Dominique Paganelli a recueilli les paroles d'anciens appelés devenus célèbres, mais dont le grand public ignore cette tranche de vie : Jacques Higelin, Cabu, Raymond Poulidor, Pierre Joxe, Jean-Claude Carrière... Ils avaient 20 ans. Ils ont fait la guerre d'Algérie (Tallandier, 8 mars). Lui-même ancien appelé, Claude Juin a soutenu une thèse dont il a tiré un livre, Des soldats tortionnaires. Guerre d'Algérie : des jeunes gens ordinaires confrontés à l'intolérable (Robert Laffont). L'Epervier vient de publier les témoignages des Soldats du refus pendant la guerre d'Algérie qui ont refusé de tirer sur les Algériens.

Les correspondances font ressurgir un vécu non filtré par les souvenirs, comme celle du photographe Gilles Caron avec sa mère (J'ai voulu voir, Calmann-Lévy, janvier) ou celle d'un jeune appelé avec sa fiancée (Quand les cigognes claquaient du bec dans les eucalyptus, Fayard). Les enfants d'appelés ou de pieds-noirs revisitent cette mémoire : Florence Dosse a enquêté sur Les héritiers du silence (Stock), Brigitte Benkemoun reconstitue le passé de sa famille dans La petite fille sur la photo (Fayard). Nathalie Funès a travaillé sur Le camp de Lodi, où ont été enfermés pendant la guerre des partisans français de l'indépendance (Stock). Journaliste, Guillaume Zeller, lui, est le petit-fils du général Zeller, un des quatre putschistes de 1961. Il a été chargé d'enquêtes au service historique de l'Armée de terre, et publie 5 juillet 1962 : le massacre oublié. "Il a cherché à comprendre, à faire ce travail de mémoire, explique Dominique Missika, directrice littéraire chez Tallandier. Il a un regard particulier, de familiarité et de distanciation."

"Un fasciste français"

De leur côté, Les Arènes préparent un livre d'entretiens avec le fondateur de l'OAS, Jean-Jacques Susini. "Le journaliste Bertrand Le Gendre l'a interrogé et poussé dans ses retranchements, mais il faut encore préciser des choses, explique le directeur Laurent Beccaria. Il n'avait pas parlé depuis des années, et il est resté tel qu'en lui-même, un fasciste français. Ce livre restitue la violence de l'époque, avec des notes et des accompagnements. Je ne veux pas le publier avec complaisance, comme Perrin a publié Aussaresses."

Transmettre une mémoire, c'est ce que fait Maïssa Bey, qui a écrit Algérie, mémoire partagée avec Fatima Besnaci-Lancou (L'Atelier), et un roman (Comme un goût de soleil, L'aube). Jacques Duquesne livre ses Carnets secrets d'Algérie (Bayard). La BD d'Alain et Désirée Frappier Dans l'ombre de Charonne reconstitue la tragédie de la manifestation antifasciste du 8 février 1962 (Mauconduit). Sur le même sujet, La Joie de lire publie Dernier métro de Christophe Léon, un roman pour les enfants qui pourront aussi lire La prisonnière du Djebel de Didier Daeninckx, Ben Bella et la libération de l'Algérie de Gérard Streiff (Oskar Jeunesse), L'Algérie ou la mort des autres de Virginie Buisson (Gallimard Jeunesse)... Chacun pourra se mettre à jour sur l'histoire du conflit avec des synthèses comme La guerre d'Algérie expliquée à tous de Benjamin Stora (Seuil), Algérie, des événements à la guerre : idées reçues sur la guerre d'indépendance algérienne de Sylvie Thénault (Le Cavalier bleu) ou encore Histoire du drame algérien, sous la direction de Bernard Michal, qui avait couvert le conflit pour Paris Presse et réalisé cet ouvrage collectif en 1971 (Omnibus, 2 février).

(1) Voir la bibliographie complète sur Livreshebdo.fr : "Plus de cent titres pour les 50 ans de la fin de la guerre d'Algérie ». 

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