3 septembre > Roman France

La grossesse, l’aventure la plus risquée de l’écrivain voyageur occidental du XXIe siècle ? La paternité, une destination plus exotique qu’un îlot du Pacifique ? Pour Julien Blanc-Gras c’est un sujet d’investigation inédit. L’auteur à succès de Gringoland (2005), Comment devenir un dieu vivant (2008), Touriste (2011, adapté en BD en 2015) et Paradis (avant liquidation (2013) - tous parus Au Diable vauvert et disponibles au Livre de poche -, a enfilé son costume de gonzo reporter pour parcourir les neuf mois qui ont changé la face de son monde. In utero, c’est J’attends un enfant vu exclusivement du côté mâle.

Car si l’arrivée de l’enfant n’a rien d’accidentel, Julien Blanc-Gras reconnaît qu’il a eu longtemps "des tas de bonnes et de mauvaises raisons de renâcler à la reproduction". Pour contrer la panique, le sentiment d’inutilité et d’ignorance qui s’emparent de lui, le père en gestation manie abondamment l’autodérision. Citant John Fante ou Philippe Jaenada (mais aussi Renaud et Desproges), il relève que, selon Virginie Despentes dans Apocalypse bébé, les enfants ne sont pas un thème assez viril pour les écrivains masculins, et notre globe-trotter s’inquiète de ce qu’il va pouvoir désormais écrire, lui qui "gagne sa vie en la racontant". "La Femme, ainsi que la désigne son compagnon, travaille dans les coulisses d’une émission de télévision en vue." Elle est née en Corée du Sud mais a grandi à Bourg-en-Bresse. La famille sera métissée, ce qui comble le père à venir.

Des étapes les plus concrètes de cette grossesse sans souci (recherche d’un appartement plus grand, cours de préparation à l’accouchement…) aux escales plus métaphysiques, L’Homme traverse des émotions paradoxales où domine une anxiété multiforme : comment faire un enfant et continuer de voyager ? Comment devenir père et rester bon vivant ? Est-il tenable de chérir sa liberté par-dessus tout et d’accepter de se soumettre à l’ordre d’un dictateur en couche-culotte ?

Tout au long du voyage, il conserve ses vieux réflexes professionnels, il prend des notes, se documente : comment est-on père ailleurs ? On fait ainsi un petit tour du monde des us et coutumes (positions pour accoucher, choix des prénoms, usage du placenta…). Le futur parent fait aussi partager son "concept éducatif révolutionnaire" : son idée de "mutualisation des enfants ou le co-enfantage". "La garde partagée amicale ". Pas si bête.

Julien Blanc-Gras s’est embarqué à 37 ans comme dans ses autres voyages, guidé par la curiosité. Réfugié jusque-là derrière "l’aquoibonisme", l’ironie, "un dandysme findumondiste goguenard", il voit grossir chez lui au fil des mois une forme de pensée positive. Constatant qu’il était il y a quelques années "optimiste un jour sur trois", il note : "Aujourd’hui, je vais mieux. Je suis optimiste un jour sur deux." Depuis un certain 8 mars, il a posé définitivement ses valises au pays des pères. Aloha !

Véronique Rossignol

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