Le Sony reader va bientôt permettre de prendre des notes. Car, aux dires de l’un de ses promoteurs français, entendu il y a quelques jours sur France Info, «  les gens qui lisent  » aiment annoter les pages… L’argument commercial, asséné par un personnage dont le discours m’a laissé supposer qu’il consulte plus d’études marketing que de littérature, m’a d’abord rendu perplexe. Le bibliophile que je prétends être répugne à annoter les livres, sauf s’il s’agit du Code de la propriété intellectuelle , dont ni Dalloz ni Litec n’éditent d’ailleurs de grands papiers numérotés. Et puis, à la réflexion, deux exemples m’ont presque fait réviser mon jugement.   J’ai acheté, fin août, La Vengeance du traducteur de Brice Matthieussent ( 1 ). La lecture de ce «  premier roman de la rentrée  » a commencé par m’enthousiasmer. Mais, voilà que Matthieussent, usant et s’amusant à écrire sous la barre réservée aux « N.D.T. », puis passant par-dessus, laisse largement la place à son public… de gribouiller. Bref, La Vengeance, à force de disserter sur l’interventionnisme du traducteur qui modifie la fin, élimine des paragraphes, etc., a dérangé le lecteur pour titiller le juriste. Car mine de rien, Matthieussent soulevait autant de problèmes mettant en cause le fameux droit moral de l’auteur de l’œuvre originale et, en particulier le droit au respect de l’œuvre. Je n’ai pas pu résister à griffonner mon exemplaire de remarques…. juridiques Depuis 1540, année où le vénéré Etienne Dolet a livré La Manière de bien traduire d’une langue en aultre ( 2 ), chacun, ou presque, sait que la traduction est un art délicat. Que le législateur et la jurisprudence se sont empressés de pimenter, reconnaissant au traducteur le statut d’auteur - et les droits afférents -, mais le soumettant au droit moral de celui qu’il sert. En attendant, voilà le roman (érudit et malin) de Matthieussent rangé, au sein de ma bibliothèque, au carrefour entre les sections Droit d’auteur/Justice/mémoires d’avocats et Histoire de l’édition. Paul (O.L.), puis-je recevoir un S.P. de La Vengeance , que je ne maculerai pas (promis, juré, parole d’avocat !), pour l’étagère à laquelle il était destiné, entre Autoportrait avec parents de Nicolas Matsier ( 3 ) et ma collection complète de Matzneff ? L’autre argument en faveur des considérations sociologico-radiophoniques du marketeur de chez Sony m’a été inspiré par Amazon. Le libraire en ligne a développé le Kindle  ; en clair, encore une ardoise magique permettant de lire (ou en tout cas de télécharger des livres). Patatras, 1984 et La Ferme des animaux ont été vendus en version piratée… Le découvrant, fin juillet, Amazon a supprimé manu militari les deux livres d’Orwell de son catalogue, mais surtout des appareils de ses clients. Las, l’un d’entre eux, un dénommé Justin Gawronski, étudiait 1984 en prenant depuis juin de multiples notes à même son Kindle . Les « excuses » présentées par la firme ne lui ont pas rendu deux mois de travail perdu. Le voilà donc attaquant Big Brother Bezos devant la cour de Washington, en avançant qu’Amazon n’aurait pas pu agir de même s’il avait acheté en ligne… une version papier du livre. Est-ce, au final, une si bonne idée, Cher Sony, que de s’aventurer à proposer aux utilisateurs du reader de prendre des notes ? Pour les lecteurs/chercheurs, pas sûr, pour les avocats, assurément !   ___________ (1) Publié par P.O.L. Oui, je sais, cela ne se fait pas de mettre des notes en bas de blog, mais je ne récidiverai pas.   (2) Réédité en 1990 par Obsidiane.   (3) Traduit du néerlandais par Charles Franken, Le Passeur, 2002.
15.10 2013

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