2 novembre > Récit Liban > Alexandre Najjar

"Aujourd’hui, 14 mai 2017, à 23 h 04, maman est partie." Dans leur prosaïsme et leur précision, les mots sont choisis avec soin. Tout en retenue, alors que, dans la vie du narrateur et de ses cinq frères et sœur ("ma smala", disait fièrement la mère), ce fut juste un séisme. Alors, comme, né en 1967, Alexandre Najjar est l’aîné de la fratrie, et, à ce titre, une espèce de modèle, et comme il est écrivain, il a éprouvé l’impérieuse nécessité de se faire le gardien du souvenir d’Antoinette, que tout le monde appelait Mimosa, une femme absolument exceptionnelle, apparemment. Et, à chaud, il a rédigé ce bref récit, éclairé par une citation de Patrick Modiano, mise en exergue : "Ce n’est pas ma faute si les mots se bousculent. Il faut faire vite, ou alors je n’en aurai plus le courage."

Le courage, ce fut la vertu cardinale de cette femme, née en 1940 dans la bourgeoisie lettrée libanaise, chrétienne et très croyante, à qui tout semblait sourire. Elle tombe amoureuse d’un avocat de dix-sept ans son aîné, qu’elle aimera jusqu’à sa mort. Alors qu’elle avait fait des études de psychologie et de droit dans l’idée de devenir magistrate, bientôt mère de six enfants (Alexandre, puis trois paires de jumeaux, dont l’un n’a pas survécu), elle renonce à cette voie pour se consacrer à sa famille. Ce qui ne l’empêchera pas d’avoir une multitude d’activités, d’être une femme de convictions, voire une rebelle à un moment, et une féministe résolue.

Feuilletant l’album qu’elle tenait avec minutie et amour, Alexandre reconstitue la première partie de la vie de Mimosa, qui correspond aussi à sa propre enfance. Temps bénis et insouciants. Jusqu’à ce 13 avril 1975, où un attentat marque le début de la terrible guerre civile qui a ravagé le Liban, au moins jusqu’en 1991, mais dont le pays ne s’est jamais vraiment remis. "La guerre nous a volé une grande partie de notre vie", dira-t-elle plus tard, elle qui s’est adaptée au pire avec abnégation et, semble-t-il, sans se plaindre, métamorphosée en ange gardien, en mère courage, à la fois cuisinière, professeure à domicile, rempart contre la barbarie. Son monde s’effondre, les conditions d’existence deviennent précaires, elle risque sa vie à plusieurs reprises, mais ne sera rassurée que lorsqu’elle aura "exfiltré" ses enfants en France, où ils poursuivront leurs études. Pour cela, elle a dû se battre, ici aussi.

La paix viendra, enfin, puis, plus tard, la vieillesse, les deuils, la maladie… A la fin de son beau livre, nostalgique, émouvant et très pudique, son "nous deux encore" à lui, Alexandre Najjar écrit : "Aujourd’hui, maman n’est pas morte." En tout cas, grâce à son écrivain de fils, elle revit. J.-C. P.

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