1er mars > Roman France > Grégoire Delacourt

Avec Martine, alias Betty depuis ses 21 ans, l’héroïne et narratrice, la vie n’a pas toujours été clémente. Son père Henry est revenu unijambiste de la guerre d’Algérie. Ça lui a aigri le caractère. Il est devenu imprévisible, voire violent. Elle le surnomme affectueusement Long John Silver. Sa mère a été tuée, à 35 ans, par une voiture. En 1968, Henry s’est remarié avec Françoise, une femme dévouée, aimante, mais son fils Michel, que Betty considère comme son demi-frère, est un voyou qui tournera cambrioleur et passera dix-sept ans de sa vie en prison.

Mais en 1976, à 24 ans, l’horizon s’éclaircit pour elle. Elle épouse André, fils de paysans du Cambrésis devenu charpentier, compagnon du Devoir et du Tour de France. Ils ont un fils, Sébastien, qui grandit sans problème. Côté professionnel, après ses études à la Catho de Lille, elle a été un moment institutrice, puis est devenue directrice de création du catalogue de La Redoute. Cette histoire, on l’aura compris, se situe dans le Nord de la France, comme souvent chez Grégoire Delacourt, qui en est originaire.

Tout irait pour le mieux dans ce petit monde, et il n’y aurait plus de roman. L’écrivain glisse donc un sacré grain de sable dans sa mécanique, lequel va tout faire dérailler : à partir de 30 ans, Betty ne vieillit plus. Ou, plus exactement, si son organisme subit, comme celui de chacun, l’usure du temps, son apparence extérieure s’est totalement figée. Au début, cela ne se voit pas trop, et son entourage salue son heureuse nature. Mais ensuite, au fil des années, ça devient gênant. Elle a l’air d’être la petite amie de son fils, la cousine de son mari. Lequel, faute de pouvoir vieillir tranquillement avec la femme qu’il aime et au même rythme, préfère partir et tenter de refaire sa vie ailleurs, en Scandinavie.

Quant à Betty, dont l’univers s’effondre d’un coup (à 50 ans, elle sera même licenciée), au début elle s’étourdit avec des garçons plus jeunes qu’elle, profitant de cette permission qui lui est donnée. Mais bientôt elle se lasse, et traverse une longue phase de dépression. Impitoyablement, chaque année, Fabrice, photographe du temps qui passe (en principe), la fait poser, isolée dans sa jeunesse factice, et cela la désespère. Jusqu’au jour où, enfin, à 63 ans, elle "fera son âge", comme on dit si bien, et repartira sur des bases nouvelles.

"La vieillesse est une victoire", écrit Delacourt à la fin de son roman, composé comme une éphéméride dont les pages se tournent, fable tendre et décalée, à rebours d’un certain jeunisme ambiant. J.-C. P.

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