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Objectif 40 % de baisse pour les ebooks

Objectif 40 % de baisse pour les ebooks

Baissez les prix des ebooks de 40 % par rapport au papier : c'est le message du ministère de la Culture aux éditeurs, dans son argumentaire élaboré pour défendre en Europe la TVA réduite sur les livres numériques. La France a aussi déniché une jurisprudence favorable à sa cause.

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Par Hervé Hugueny,
avec Créé le 23.02.2015 à 17h06

"Il faut que nous obtenions que les conclusions de l'UE soient favorables à notre thèse pour que la Commission prépare ses futures propositions dans notre sens." JACQUES TOUBON - Photo JEAN CELY/JDD/GAMMA

Pour Jacques Toubon, 2012 sera mère de toutes les batailles fiscales. Chargé d'amadouer les psychorigides de l'orthodoxie budgétaire hostiles à la TVA réduite sur le livre numérique, il va reprendre son tour de l'Union européenne avec un allié imprévu. Depuis le 1er janvier, le Luxembourg applique comme la France un taux réduit sur les ventes de livres numériques. Mais comme c'est un petit Etat, c'est un tout petit taux : 3 %, contre 7 % pour la taxe française récemment augmentée pour calmer les agences de notation financière. Amazon, qui vend du livre numérique dans toute l'Europe depuis la luxembourgeoise vallée de l'Alzette, bénéficie ainsi toujours d'un différentiel lui assurant une marge supérieure à celle de ses concurrents qui en font commerce depuis les bords de la Seine - la Fnac par exemple, principal challenger du groupe américain, déménagée dans la Zac du port d'Ivry.

Sur un livre à 15 euros, cet avantage de 4 % atteint 60 centimes. Avec l'expansion attendue, le cumul se comptera rapidement en centaines de milliers d'euros de bénéfice supplémentaire. Les libraires belges voisins qui tentent de se lancer sur ce marché trouvent évidemment que leur TVA à 21 % les plombe encore plus. Et tant qu'à aligner le numérique sur le papier, les booksellers britanniques et irlandais sont certains d'avoir la meilleure solution, si leur gouvernement veut bien la défendre : outre-Manche, les livres sont taxés à 0 %. C'est pour éviter ces distorsions de concurrence que l'Union encadre le pouvoir de décision de ses membres, dans des limites sciemment outrepassées par la France et le Luxembourg.

Statu quo intenable

Comme le statu quo fiscal ne tient plus, la Commission a engagé une réflexion sur l'avenir de la TVA, présentée le 6 décembre dernier. La communication indiquait qu'il faudrait traiter "la question de l'égalité de traitement des produits qui sont disponibles à la fois sur support traditionnel et en ligne". Un premier succès pour la mission européenne de Jacques Toubon sur la "modernisation de la fiscalité culturelle". La Commission ajoutait même plus loin que "des biens et services similaires devraient être soumis au même taux de TVA". Mais elle s'est bien gardée de préciser dans quel sens cet alignement se déciderait, et chacun lira cette déclaration en fonction de ses convictions. Car la note contient aussi plusieurs paragraphes contre les taux réduits, en recommandant de les supprimer au profit d'un taux normal plus bas que les 19,6 % actuels, en moyenne. Le Danemark, qui préside actuellement l'UE, est favorable à cette solution et veut dégager des conclusions d'ici à la fin de son mandat, en juin. "Il faut donc que nous obtenions que ces conclusions soient favorables à notre thèse pour que la Commission prépare ses futures propositions dans notre sens", explique Jacques Toubon, qui va défendre la position française devant les parlementaires allemands à la fin du mois. "Car rien ne pourra aboutir si l'Allemagne s'y oppose", souligne l'ancien ministre de la Culture. Pour fournir à son missionnaire fiscal un argumentaire contre ces intégristes du taux normal, la France a produit un rapport sur "Les enjeux de l'application du taux réduit de TVA au livre numérique" afin de démontrer 1) son bon droit et 2) les bienfaits du taux réduit.

Le bon droit de la France (et des autres)

Le rapport rappelle un principe défini dès la première directive du Conseil européen en 1967, réitéré en 2006 : "Sur le territoire de chaque Etat membre, les biens et les services semblables supportent la même charge fiscale." Les 25 pays de l'UE appliquant un taux réduit au livre papier pourraient donc l'étendre au livre numérique... à condition de démontrer que les deux rendent bien le même service, car aucune directive ne définit "la notion de produits semblables ». Les conseillers juridiques ont donc déniché de la jurisprudence, établie à la suite de contentieux engagés contre d'opiniâtres contribuables, examinés jusqu'à la Cour européenne de justice. Un syndic de copropriété, la France (déjà !) à propos de la TVA sur les compteurs à gaz, trois exploitants de jeux d'argent (dont un illégal) ont été jugés à l'aune de cette neutralité fiscale, que le gouvernement français brandira s'il est attaqué pour l'avoir accordée aux éditeurs. La direction générale de la fiscalité (Taxud), qui envisageait en décembre de réagir immédiatement, n'a "pas encore entamé d'action contre ces deux décisions" de la France et du Luxembourg et est maintenant "en train d'évaluer la meilleure marche à suivre", indique son service de presse.

Les bienfaits du taux réduit. A partir d'un modèle économique construit par la Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) du ministère de la Culture, le rapport développe l'hypothèse qu'un taux réduit produira au final plus de recettes fiscales que le maintien du statu quo (voir graphique p. 22). La DGMIC suppose qu'une répercussion immédiate et intégrale de la TVA réduite assortie d'un effort supplémentaire des éditeurs aboutirait à une baisse de 40 % des prix numériques par rapport aux tarifs du papier. Cette baisse correspond à ce que les consommateurs attendent et les retiendrait de céder au piratage, qui serait limité à 3 % du marché. Le chiffre d'affaires global de l'édition résisterait et se maintiendrait en 2015 presque au niveau de celui de 2010 (4 milliards d'euros), avec des ventes numériques atteignant 8 % du marché. Ce scénario est donc une recommandation implicite aux éditeurs de réduire leurs prix de 40 %.

A contrario, le statu quo (TVA normale, faible réduction) encouragerait le piratage qui atteindrait alors 15 % du marché et aurait des effets ravageurs sur les ventes d'ebooks et de livres papier, et l'Etat ne toucherait évidemment aucune TVA dessus. En 2015, le chiffre d'affaires de l'édition tomberait à 3,5 milliards d'euros, avec un marché numérique faible, à 134 millions d'euros, et des ventes papier amputées de 620 millions d'euros par rapport à 2010. La DGMIC imagine aussi un scénario intermédiaire, avec une répercussion immédiate de la TVA, mais avec une baisse supplémentaire des prix plus tardive. Son effet serait "moins stimulant sur la demande". La tarification restant "trop éloignée des attentes des consommateurs, le piratage se développe tout de même et détourne 6 % du marché du livre en 2015".

Jouer le jeu

Dans ces différents scénarios, l'Etat est présenté comme un agent économique prenant une décision rationnelle, qui n'a rien à voir avec une faveur accordée à un lobby. Renoncer à l'illusoire effet d'aubaine d'une TVA à 19,6 % sur le marché numérique en devenir engendrerait en 2015 pour la France un gain de TVA cumulé de 28 millions d'euros, avec un taux à 7 %, si les éditeurs jouent le jeu. Et il faudrait y ajouter la TVA collectée sur les ventes de liseuses, estimée à 78 millions d'euros. L'argumentaire vise clairement à séduire les ministres des Finances de l'Union les plus hostiles à la baisse de la TVA au nom de l'équilibre des budgets publics. Mais cet encouragement accordé au numérique, justifié au nom de la menace du piratage, profiterait d'abord aux leaders les mieux armés pour s'emparer de ce nouveau canal de vente.

Le rapport est disponible sur Livreshebdo.fr (« Rapport : Les enjeux de l'application du taux réduit de TVA au livre numérique"), ainsi qu'un tableau comparant les prix des versions papier et numériques des titres actuellement dans les meilleures ventes.

23.02 2015

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