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Objectif rentrée littéraire

Le show des diffusés de Volumen : le 23 mai à la Maison de l’Amérique latine, à Paris, les éditeurs diffusés par Volumen présentent leurs nouveautés de la rentrée aux libraires. Ici, de dos, l’éditrice Sabine Wespieser. - Photo Olivier Dion

Objectif rentrée littéraire

Lancé dès avant la mi-mai, le marathon des présentations de la rentrée littéraire aux libraires mobilise massivement les éditeurs et, désormais, les diffuseurs à Paris et en province. Ces rendez-vous coûteux sont aussi primordiaux pour renforcer les échanges entre les professions du livre.

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Par Marine Durand,
Pauline Leduc,
Claude Combet,
Créé le 27.05.2016 à 13h00

"Incontournables", "essentielles", "indispensables". Le vocabulaire employé dans les maisons d’édition laisse peu de doutes sur l’importance des réunions de présentation de la rentrée littéraire aux libraires qui, de Paris aux régions de France en passant par la Suisse, la Belgique ou le Québec, vont s’égrener jusqu’aux premiers jours de juillet. Libella a ouvert le bal en conviant le 9 mai au soir 70 professionnels à découvrir les titres de Buchet-Chastel, Noir sur blanc et Phébus sur la barge Les Jardins du Pont-Neuf. Mais la rentrée a démarré depuis plusieurs semaines déjà pour les directeurs commerciaux chargés de planifier petits-déjeuners, déjeuners et cocktails dînatoires.

Dans une pièce attenante à la salle de conférence, Anne-Marie Métailié revoit une dernière fois son intervention avec une collaboratrice.- Photo OLIVIER DION

"Nous avons commencé à y réfléchir dès janvier", indique Arié Sberro, directeur commercial de Robert Laffont, qui face au succès du rendez-vous les années précédentes à la Maison de la chimie, a opté cette année pour le plus vaste hôtel de Massa, où sont attendus 60 à 80 libraires. "C’est une mécanique très importante, en avril tout est calé", explique Anna Pavlowitch, la directrice littéraire de Flammarion, évoquant un "planning de folie" pour la tournée en région, qui l’emmènera avec ses auteurs à Lyon, Strasbourg et Bordeaux.

Dans la salle de conférence, les libraires studieux. - Photo OLIVIER DION

Au Seuil, Eric Fouquet, responsable des relations libraires, reconnaît une certaine "vigilance" dans le choix des dates à Paris. "Les directeurs commerciaux se contactent en amont, l’un des objectifs étant de tomber le même jour que la grande réunion organisée par Page des libraires, pour s’assurer un maximum de personnes." Sa maison a réussi le coup de force cette année - "l’an dernier c’était Grasset" - en programmant sa présentation le 6 juin au soir à la Maison des polytechniciens, peu après la fin de la journée de rentrée de Page à la BNF, où sont conviés 400 libraires et bibliothécaires.

Les sacs cadeaux remplis des SP qui leur seront distribués en fin de séance.- Photo OLIVIER DION

Testé dès les années 1990 par le Seuil, également développé il y a une quinzaine d’années par quelques éditrices, comme Sabine Wespieser ou Joëlle Losfeld qui n’hésitaient pas à recevoir à domicile en petit comité, le concept s’est rapidement étendu à l’ensemble des maisons de littérature, et s’est surtout professionnalisé. "Le cas échéant, nous prenons en charge les frais de déplacement de certains libraires de province", explique Eric Fouquet, quand Lise Detrigne, responsable des relations libraires et salons chez Métailié, relève l’importance de fournir, lors de ces réunions, "les livres finis aux libraires, car ils ont plus d’impact que les épreuves".

D’abord circonscrites à Paris, les réunions ont ensuite essaimé, les éditeurs investissant temps et argent pour aller à la rencontre des libraires hors de la capitale. Lyon, forte de son réseau dense de librairies indépendantes, fait ainsi figure de ville incontournable, mais Bruxelles, Aix, Rennes, Nantes, Bordeaux ou Toulouse reviennent aussi fréquemment dans les circuits.

Les diffuseurs s’y mettent

Et les éditeurs ne sont plus les seuls à lancer les invitations : les diffuseurs sont de plus en plus nombreux à les soutenir, en particulier les maisons indépendantes de taille modeste. Lundi 23 mai, la Maison de l’Amérique latine a accueilli la présentation de 18 éditeurs diffusés par Volumen, du Tripode aux éditions du Sonneur. La réunion, qui a intégré il y a plusieurs années le dispositif de rentrée du diffuseur, a fait ses preuves. Si bien qu’en 2016 le CDE, qui ne souhaite pas communiquer sur le sujet, et Interforum s’essaient à leur tour à l’exercice. "Beaucoup de jeunes maisons de création littéraire ont décidé de nous rejoindre récemment, explique Rolande Gerberon, directrice du circuit grands libraires à la diffusion d’Interforum. Afin de rendre plus concret le temps fort de la rentrée littéraire, il est tout à fait légitime de donner aux libraires l’occasion de rencontrer les éditeurs indépendants concernés, à travers un moment de partage, orchestré par une modératrice et comprenant aussi des interviews vidéo des auteurs étrangers."

"Accéder aux contenus"

Lorsque les éditeurs ne vont pas aux libraires, ce sont les libraires qui viennent aux éditeurs, dans une même démarche d’échange et de connaissance des titres. Le groupement Libraires ensemble a emboîté le pas il y a quatre ans aux pionniers de Page des libraires, en programmant un rassemblement parisien en mai, et la Fnac s’empare cette année du dispositif déjà mis en place il y a plusieurs années par les espaces culturels Leclerc. Les 7 et 8 juin, l’enseigne fait venir 250 libraires de son réseau, soit un tiers de ses effectifs hors jeunesse, à Paris pour une réunion au cours de laquelle se succéderont 40 éditeurs. "Nous avons souhaité proposer à l’ensemble du réseau un accès direct à la production", détaille Coralie Piton, directrice de la stratégie et directrice du livre de la Fnac. Tandis qu’un "tronc commun" sera destiné aux vendeurs des plus petits magasins, un parcours un peu plus pointu sera proposé aux libraires spécialisés, et officiant dans les grandes Fnac. "Les libraires n’ont pas vocation à seulement acheter et placer les livres en rayon. Ils doivent aussi les connaître, faire des choix, et pour cela accéder aux contenus", ajoute Coralie Piton.

Précieux d’un côté et de l’autre de la chaîne, parce qu’ils "mettent du relief dans une production très abondante et permettent aux libraires de prioriser leurs lectures", selon Virginie Ebat, directrice commerciale de Calmann-Lévy, ces nombreux rendez-vous de "prérentrée" n’ont pas tant évolué dans leur fonction que sur leur forme, constate Anna Pavlowitch. "Notre réunion parisienne comprend désormais un petit-déjeuner et un cocktail à l’heure du déjeuner, deux temps propices aux échanges entre les libraires et tous les métiers de la maison, qui sont mobilisés autour de la rentrée. Il se passe dans l’informel quelque chose de primordial." Eric Fouquet fait valoir qu’il s’agit souvent "du seul contact direct entre l’éditeur et le libraire". Le responsable des relations libraires du Seuil a d’ailleurs remarqué que ces moments de discussion étaient aussi l’occasion de revenir sur le reste de l’année, voire d’évoquer la production à venir. Ou encore, pour les libraires, de commencer à prévoir leurs plannings de rencontres et de signatures à la faveur d’un premier contact avec un écrivain. Un des auteurs de Flammarion, Serge Joncour, régulièrement programmé lors de la rentrée littéraire et habitué à prendre la parole devant les libraires, apprécie particulièrement ces rencontres qui "humanisent un peu le quotidien", et permettent "de se plaire, ou pas, d’ailleurs".

Les libraires se sont imposés

Plus généralement, les réunions de présentation de la rentrée littéraire, qu’elles soient organisées par l’éditeur, le diffuseur ou une chaîne de librairies, attestent un "accroissement de la confiance et de la reconnaissance de part et d’autre", selon Eric Fouquet. Virginie Migeotte, qui a fondé son propre bureau de relations libraires et s’occupe d’une dizaine de maisons indépendantes, remarque qu’avec la crise de la presse les libraires se sont imposés comme les acteurs les plus aptes à parler des livres. "Plus personne ne peut se passer du dialogue avec les libraires. Toute cette idée tient d’ailleurs dans une jolie formule de l’éditeur Jérôme Lindon : "Les libraires sont des créateurs de sons.""
M. D.

Ils feront parler d’eux

Plusieurs têtes d’affiches s’annoncent d’ores et déjà pour la rentrée littéraire 2016. Yasmina Reza tirera la rentrée de Flammarion, qui a aussi programmé Véronique Ovaldé et le dernier titre de Jim Harrison, décédé en mars.

Un nouveau Régis Jauffret est prévu au Seuil, Jean-Paul Dubois revient à L’Olivier avec La succession,François Bégaudeau chez Verticales et Laurent Mauvignier chez Minuit.

Philippe Forest devrait faire les beaux jours de la rentrée française de Gallimard, tandis qu’Amos Oz portera la rentrée étrangère de la maison.

Au petit jeu des grands noms, on notera l’arrivée de Salman Rushdie dans la collection "Lettres anglo-américaines" d’Actes Sud, qui publie à nouveau Laurent Gaudé, et celle de Bernard Chambaz chez Stock, qui attend aussi beaucoup de Luc Lang.

Fidèle au poste chez Albin Michel, Amélie Nothomb fera en août un clin d’œil au conte de Perrault Riquet à la houppe. Yasmina Khadra répondra présent chez Julliard. Grasset, fera à nouveau confiance à Léonora Miano et à Simon Liberati, très remarqué l’an dernier pour son Eva chez Stock. M. D.

D’autres réunions pour la jeunesse, la BD, l’art

"Au début, nous n’étions pas nombreux en jeunesse à organiser des réunions de rentrée littéraire ; maintenant, tout le monde s’y met, si bien qu’il devient difficile de trouver une date et qu’on démarre de plus en plus tôt", note Frédéric Lavabre, directeur de Sarbacane, qui compte 150 libraires, bibliothécaires et journalistes inscrits à sa rencontre du 30 mai. Casterman Jeunesse a donné le coup d’envoi le 23 mai. Le pôle Actes Sud Junior-Thierry Magnier-Rouergue-Hélium présentera à son tour son programme le 30 mai, Gallimard Jeunesse et Nathan le 6 juin, Mango-Fleurus le 13 juin, Hachette Jeunesse le 20 juin, tout comme Hatier et ses diffusés Didier-Rageot-Play Bac-Bayard-Tourbillon, et Albin Michel Jeunesse le 27 juin. D’autres comme Ricochet le feront en septembre.

Si ces réunions constituent des rendez-vous "indispensables" pour se repérer dans une production pléthorique et "des moments privilégiés d’échanges dans une ambiance toujours sympa", selon Frédéric Lavabre, les libraires, faute de temps, devront parfois choisir.

D’autant que d’autres secteurs éditoriaux proposent un avant-goût de leur rentrée dans la même période. En BD, Média Diffusion dévoilera le 20 juin les nouveautés de Dargaud-Dupuis-Lombard-Kana. En sciences humaines, le Seuil organisera le 28 juin sa traditionnelle réunion dédiée à ce segment. Le même jour, l’éditeur de livres d’art Citadelles & Mazenod présentera aux libraires sa production de la rentrée, suivi le 4 juillet par la branche beaux livres d’Actes Sud. C. C. et P. L.

Un marathon de plaisir pour les libraires

 

Les libraires déploient des trésors d’organisation pour pouvoir participer aux multiples réunions organisées pendant six semaines par les éditeurs.

 

Martin Barbe a été "emballé". A 22 ans, le jeune libraire de la librairie Le Neuf à Saint-Dié-des-Vosges entamait sa première saison de prérentrée littéraire avec les diffusés de Volumen.- Photo OLIVIER DION

"Je vous le dis, il s’agit d’une œuvre majeure, chaque phrase m’a surprise, on passe de la violence la plus crue au lyrisme le plus pur", s’enflamme Sabine Wespieser devant un parterre de quelque 130 libraires, lundi 23 mai à la réunion de rentrée littéraire organisée par Volumen pour 18 de ses éditeurs diffusés. Dans une salle de la Maison de l’Amérique latine (Paris 7e), l’auditoire est suspendu aux lèvres de l’éditrice qui défend avec passion son programme. Alors que les applaudissements fusent plusieurs retardataires prennent discrètement place aux derniers rangs, encore clairsemés, de l’assemblée.

"Je me suis levée à l’aube mais avec les grèves et les travaux de la SNCF, j’ai raté le début de la réunion : c’est le problème quand on vient de province", soupire Muriel Sanson, responsable littérature de la librairie Les Volcans, à Clermont-Ferrand. Fatiguée, elle n’est pas moins "ravie" d’assister à cette réunion particulièrement "rentable". "J’ai de nombreux autres allers-retours prévus mais, là, précise-t-elle, en une seule journée, je peux découvrir la production de nombreuses maisons de qualité, renforcer mes relations avec les éditeurs et nouer des premiers contacts avec les auteurs." Comme elle, près de 40 % des libraires présents ce jour-là ne viennent pas de la région parisienne.

"Vu l’énorme production qui va déferler sur le marché, ces moments sont essentiels : ils permettent d’effectuer un premier défrichage, de repérer les grands thèmes de la saison", souligne Marie-Rose Guarniéri, de la librairie des Abbesses (Paris 18e). Les multiples rencontres organisées en mai et en juin par les éditeurs apportent "un gain de temps pour préparer les tables", mais elles nécessitent une "solide organisation". La libraire s’est bâti un calendrier de ces événements pour gérer, en amont, son emploi du temps. "Comme nous sommes trois dans l’équipe, je peux régulièrement m’absenter quelques heures, mais ce doit être bien plus compliqué pour les libraires en région."

Même si les éditeurs privilégient le lundi, jour de fermeture traditionnel des librairies, pour programmer leurs rendez-vous, le temps de transport constitue un obstacle pour les libraires de province. A tel point que certains comme Kristel Bourg, cogérante du petit magasin Bookstore, à Biarritz, n’assistera à aucune réunion cette année car "les bénéfices ne sont pas à la hauteur des sacrifices engagés". D’autres tentent de s’organiser. "Je me débrouille avec ma collègue afin d’assister à un maximum d’événements mais, lorsqu’ils tombent le soir ou en plein inventaire, cela devient mission impossible : heureusement qu’il y en a de plus en plus en région, et notamment à Metz", explique Anne-Marie Carlier, gérante d’Autour du monde (Metz).

Le transport remboursé

Malgré ces délocalisations et le remboursement quasi systématique des frais de transport par les organisateurs, nombre de libraires ne peuvent se permettre d’assister à toutes les présentations de ce marathon "qui fait partie du piment de notre profession", comme le souligne Anne-Marie Carlier. "Je choisis les réunions en fonction de mes goûts personnels mais aussi du caractère "immanquable" des maisons", indique Muriel Sanson. Comme beaucoup de ses collègues, elle trouve normal de s’y rendre sur ses jours de congés. "C’est un véritable plaisir et une opportunité d’être là, pas une obligation", insiste Martin Barbe. Jeune libraire de 22 ans, il assiste à sa toute première réunion de rentrée pour Le Neuf, à Saint-Dié-des-Vosges, "emballé". P. L.

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