Romans de la rentrée

Palmarès 2014 des libraires : la percée Foenkinos

N° 1 des romans français : Charlotte de David Foenkinos, Gallimard. L’auteur de La délicatesse délaisse la comédie légère pour un récit sombre et habité. Auteur apprécié des libraires dans son registre léger, il a cette fois franchi un palier pour l’emporter devant les romans d’Emmanuel Carrère et d’Eric Reinhardt. - Photo C. Hélie/Gallimard

Palmarès 2014 des libraires : la percée Foenkinos

Saluant la qualité de la production française, les libraires élisent David Foenkinos, un auteur qu’ils connaissent bien et apprécient. Côté étranger, ils ont été très sensibles cette année aux romans venus du monde anglo-saxon, et en particulier à celui de James Salter.

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Par Clarisse Normand,
Créé le 28.09.2014 à 14h00 ,
Mis à jour le 01.10.2014 à 11h49

Les libraires font le grand écart. En littérature française, leur écrivain préféré est David Foenkinos, 40 ans le mois prochain, avenant et prolifique avec déjà douze romans, pour la plupart empreints d’une légèreté un peu loufoque. Dans le domaine étranger, ils couronnent James Salter, 89 ans, une sommité de la littérature américaine à la tête d’une œuvre précieuse et parcimonieuse.

En plébiscitant Charlotte (Gallimard) les libraires confirment leur attachement à David Foenkinos dont les deux derniers titres figuraient dans nos précédents palmarès. Classé 3e en 2011 avec Les souvenirs et 15e en 2009 avec La délicatesse, l’auteur accède cette année à la première place du podium grâce à un ouvrage très différent des précédents. Derrière le portrait de Charlotte Salomon, peintre allemande morte à Auschwitz en 1943, les libraires ont apprécié "la capacité de l’auteur à se renouveler" mais aussi "sa profondeur et sa sensibilité". Ce choix rejoint celui des jurés du Goncourt et du Renaudot qui ont placé son nouveau roman dans leurs premières sélections.

N° 1 des romans étrangers : Et rien d’autre de James Salter, L’Olivier. Le podium est complété par Le fils de Philipp Meyer (Albin Michel) et Price de Steve Tesich (Monsieur Toussaint Louverture).- Photo OLIVIER DION

Les libraires se montrent aussi en phase avec les critiques littéraires (1), affichant le même trio de tête : après Charlotte, on retrouve Royaume d’Emmanuel Carrère (P.O.L) et L’amour et les forêts d’Eric Reinhardt (Gallimard). L’écart entre ces trois premiers titres est en revanche moins marqué que les années précédentes. Classé n° 2, l’ambitieux roman d’Emmanuel Carrère, mêlant enquête sur les débuts de la chrétienté et récit personnel d’une expérience mystique, a même la préférence des libraires de premier niveau, mais aussi celle des hommes et des plus de 35 ans.

L’Olivier pour la deuxième fois

En littérature étrangère, en revanche, la première place revient haut la main au sixième roman très attendu de James Salter, Et rien d’autre (éditions de l’Olivier), qui relate l’itinéraire professionnel et sentimental d’un homme devenu éditeur à New York dans les années 1950. Cette performance, qui s’ajoute à celle de l’an dernier, où un autre auteur de L’Olivier, Richard Ford, avait été plébiscité par les libraires, vient consacrer la politique éditoriale de cette maison.

Toutefois, l’ensemble du classement étranger est marqué cette année par un retour en force des auteurs de langue anglaise avec 18 titres sur les 20 premiers, dont 13 écrivains américains. Certes, la qualité des ouvrages explique pour partie le phénomène mais ce dernier n’est pas sans lien avec le festival America et la venue pour l’occasion de nombreux auteurs en France. Très remarqué à America, Philipp Meyer, encore mal connu en France, s’impose à la 2e place avec son deuxième roman, Le fils, tandis que Nickolas Butler, primé par le prix Page des libraires/America 2014, arrive 8e avec son premier roman, Retour à Little Wing. Dans cet ensemble, le Cubain Leonardo Padura, avec Hérétiques (10e), et l’Italienne Silvia Avallone, avec Marina Bellezza (11e), se démarquent donc avantageusement.



Dans le prolongement du palmarès, fondé sur un sondage effectué auprès de 363 libraires ayant lu cette année 193 titres différents, beaucoup saluent la "qualité de la production" et son "éclectisme". Plusieurs d’entre eux reconnaissent même avoir été, plus que d’habitude, attirés par les romans français. Ainsi de Jean-Pierre Ohl (Georges à Talence) et François Huet (Sauramps à Montpellier) qui saluent tous deux L’île du point Némo de Jean-Marie Blas de Roblès (4e). S’ils ont lu davantage d’auteurs français, ils n’ont pas vraiment privilégié les inconnus. Un seul premier roman et un seul deuxième roman figurent dans les vingt premières places, respectivement Constellation d’Adrien Bosc (20e) et Le bonheur national brut de François Roux (8e).

En littérature étrangère, le jeu est plus ouvert. Six nouvelles voix émergent, à commencer par Le complexe d’Eden Bellwether de Benjamin Wood (6e), primé par le prix Fnac, ou encore Le ravissement des innocents de Taiye Selasi (9e). Outre Retour à Little Wing (8e), il y a également En ce lieu enchanté de Rene Denfeld (14e), La famille Middlestein de Jami Attenberg (19e) et La vie rêvée de Rachel Waring de Stephen Benatar (20e).

"C’est jubilatoire"

Pour Wilfrid Séjeau (Le Cyprès à Nevers), "c’est une des plus belles rentrées depuis longtemps, tant par la diversité des œuvres que par le nombre de coups de cœur que j’ai eus. Il y a un bel équilibre entre les poids lourds et les découvertes." Jean-Marie Martin (Formatlivre à Libourne) est lui aussi enthousiaste : "La rentrée 2014 est assez typée avec des ouvrages à forte sensibilité soit féminine soit masculine. C’est pour nous bien plus intéressant à conseiller qu’un livre passe-partout." De son côté, Rémy Ehlinger (Coiffard à Nantes) apprécie les ouvertures que créent certaines nouveautés : "Avec Oona & Salinger de Frédéric Beigbeder, je peux faire des liens avec d’autres auteurs, comme Salinger, bien sûr, mais aussi Fitzgerald, Capote ou encore Hemingway ; avec Le Royaume d’Emmanuel Carrère, je peux renvoyer vers Renan ou même Hervé Clerc. On a fait une grande vitrine où les nouveautés côtoient ainsi quelques classiques. C’est jubilatoire pour un libraire de pouvoir ainsi établir des passerelles."

"Nous savons que nos choix sont très suivis. Les gens nous font confiance." Claire Authier, Les Beaux Titres, Levallois.- Photo OLIVIER DION

Constatant que les ventes en littérature sont aujourd’hui dominées par Le Royaume d’Emmanuel Carrère, "dans des proportions plus importantes que prévu", reconnaît François Huet, les libraires indépendants ont bien conscience, comme le résume Aurélie Jardel (L’Autre Rive à Toulouse), que "l’enjeu est désormais d’ouvrir le champ des découvertes". A côté des petits mots-coups de cœur, des catalogues ou encore des rencontres avec les auteurs, les libraires développent de plus en plus des partenariats avec les bibliothèques pour présenter la rentrée. Ainsi à Levallois, Les Beaux Titres organise pour la première fois, avec la médiathèque de la ville, une soirée "afin que libraires et bibliothécaires présentent ensemble une vingtaine de nouveautés, explique Claire Authier. Nous savons que nos choix sont très suivis. Les gens nous connaissent bien maintenant et nous font confiance."

Dans un autre genre, les libraires d’Initiales renouvelleront l’opération commerciale de l’an dernier afin de promouvoir cette année, à l’échelle du groupement, trois titres : Hérétiques de Leonardo Padura, Price de Steve Tesich et Bain de lune de Yanick Lahens.

Forts de leur enthousiasme et de leurs initiatives, les libraires se montrent optimistes sur l’effet dynamisant de la rentrée. 80 % des professionnels interrogés en premier niveau et en grande surface culturelles tablent ainsi sur une augmentation à venir de la fréquentation de leur magasin.

(1) Voir "Le choix des critiques", LH 1009, du 12.9.2014, p. 24.

 

David Foenkinos, auteur complice des libraires

Dans le cadre de notre sondage, plusieurs libraires ont spontanément reconnu "apprécier l’homme qui se trouve derrière l’auteur David Foenkinos". Il est vrai que l’ex-professeur de guitare et ex-attaché de presse au Dilettante, qui fut l’un des tout premiers blogueurs de Livres Hebdo, n’a rien perdu de sa convivialité naturelle avec le succès. Lui-même dit avoir "tissé, au fil des ans, des relations amicales avec de nombreux libraires… J’aime bien me déplacer. Du coup, je les rencontre lors des salons du livre. On passe un week-end ensemble, ce qui permet de mieux se connaître. Je vais aussi dans leurs librairies. Nous nous retrouvons alors à parler entre les livres. Ce sont des moments que j’aime, surtout quand ils dépassent les heures prévues. J’écoute leurs conseils et je repars volontiers avec des livres. Avant La délicatesse, il m’est même souvent arrivé d’acheter plus de livres que je n’en avais signé !" Mais derrière la dimension amicale de ces relations, il y a aussi une reconnaissance de leur travail. "Je sais ce que je leur dois. Le succès de La délicatesse a été porté par leur enthousiasme. Je suis donc très heureux de leur soutien dans ce virage littéraire que représente Charlotte."

 


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