Pierre Franqueville : "Imaginer des combinaisons inédites"

Pierre Franqueville : "Pourquoi ne pas construire des lieux plus légers, plus facilement reconfigurables et moins chers, qu’on n’hésitera pas à refaire quand les besoins auront évolué ?" - Photo DR

Pierre Franqueville : "Imaginer des combinaisons inédites"

Pierre Franqueville, directeur de l’agence d’ingénierie culturelle et artistique ABCD, voit l’avenir dans des équipements plus petits et plus évolutifs.

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Par Véronique Heurtematte,
avec Créé le 06.01.2017 à 00h33

Pierre Franqueville - Ce sont des projets intéressants mais je pense que cela clôt le cycle des grands établissements entamé dans les années 1990 avec le programme des BMVR, bibliothèques municipales à vocation régionale. Ce sont des locomotives très puissantes mais qui ont aussi beaucoup d’inertie. A l’agence, nous travaillons surtout sur des équipements intermédiaires, entre 1 000 et 4 000 m2, souvent situés dans des quartiers prioritaires. Avant, on concevait d’abord le grand équipement central, puis ce qu’on appelait les annexes. Aujourd’hui, on aménage le territoire avec des projets plus petits, plus hybrides, plus évolutifs, capables d’ouvrir sur des horaires plus larges, qui repensent radicalement l’offre globale et le rôle de la lecture publique sur un territoire. Pour les professionnels et les élus, la bibliothèque est désormais conçue comme un outil capable de répondre à des enjeux sociétaux. Je crois que cette typologie d’établissements inaugure un nouveau cycle, très différent de celui des grands équipements.

Ces programmes permettent un champ d’expérimentation plus important. On imagine avec une plus grande liberté des équipements moins formatés, offrant plus de plasticité, où l’on se refuse de trop fixer les usages à l’avance. Les publics, les pratiques évoluent très vite, les bibliothèques doivent être capables de se renouveler rapidement. Elles deviennent des plateformes événementielles où l’on trouve des collections moindres mais plus éditorialisées et accompagnées de nombreuses activités. Les aménagements sont plus scénographiés, le mobilier n’est plus systématiquement choisi chez les fournisseurs spécialisés. Nous travaillons par exemple sur un programme où la bibliothèque sera installée dans deux lieux jointifs mais très différenciés : une bibliothèque contemporaine dans une construction neuve et, à côté, un "grand salon" de 600 m2 à l’ambiance résolument domestique installé dans un ancien petit château qui accueillera une rotation permanente de 10 % des collections accompagnées de beaucoup d’événementiel. Cet espace fonctionnera avec peu de personnel et pourra être ouvert sur des horaires décalés.

C’est en effet une préoccupation toujours plus forte. Le coût moyen de construction d’une bibliothèque, hors mobiliers et équipements, est de 2 200 euros hors taxe du mètre carré. Or il n’est que de 1 000 euros pour un bâtiment commercial. Certains élus se demandent pourquoi une telle différence, même si la qualité de la construction est supérieure. Aujourd’hui, on doit rénover des bibliothèques construites il y a seulement quinze ans parce que les bâtiments sont déjà abîmés et ne correspondent plus ni aux pratiques ni aux normes actuelles. Si la durée de vie d’une bibliothèque est aussi courte, pourquoi ne pas construire des lieux plus légers, plus facilement reconfigurables et moins chers, qu’on n’hésitera pas à refaire quand les besoins auront évolué ? Dans d’autres domaines culturels, Patrick Bouchain et ses équipes, qui ont imaginé notamment le Lieu Unique à Nantes, travaillent en ce sens depuis longtemps. En lecture publique, ce pas n’a jamais été franchi.

Il y a une certaine démagogie derrière ces dispositifs. Nous aimerions penser le contraire, mais le lecteur de base invente rarement le futur. Généralement, il veut ce qui existe déjà avec plus de livres, plus d’équipements, plus d’ouverture, plus de places assises. Les projets les plus intéressants que nous traitons à l’agence sont engagés à l’issue de réflexions portées dans le cadre du dispositif national Contrat territoire lecture qui impose à la collectivité de mener une réflexion sur la lecture publique en lien avec des partenaires culturels et non culturels, et d’élaborer de nouvelles stratégies de conquête des publics.

Autre exemple, pour la reconfiguration de La Part-Dieu à Lyon, nous avons demandé aux différents acteurs du territoire, gare SNCF, acteurs sociaux qui travaillent avec les SDF et les migrants, entreprises et salariés, office du tourisme, comment ils rêveraient la bibliothèque. Cela a apporté aux bibliothécaires des éléments de réflexion très concrets sur les services, les collections, la configuration spatiale et urbaine, les horaires.

Aujourd’hui, il faut intégrer dans la création des nouveaux équipements des professionnels venus d’ailleurs, afin de sortir des canons habituels. Nous devons imaginer des combinaisons programmatiques inédites, avec le commerce, le social, les services publics, le monde universitaire, la formation professionnelle, et tester des idées grandeur nature avec d’autant plus de légèreté que cela n’engage plus les élus pour trente ou quarante ans. Le maître mot est de mieux intégrer la bibliothèque dans la complexité de la cité contemporaine.

06.01 2017

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