Patrick Roegiers vient de publier Le Bonheur des Belges. L’un de ses compatriotes, Christian Janssen, est bien malheureux et entend porter plainte : il est persuadé que Grasset aurait disposé illicitement de son manuscrit, intitulé La Lignée Dorval . La trame – un personnage qui ne meurt jamais, l’histoire de la Belgique, l’exposition universelle de 1958, la guerre de 14-18, une rencontre avec Hugo, une autre avec Léon Degrelle, etc. – aurait été plagiée.   Ce qui est appelé communément plagiat relève, en droit, de la contrefaçon. Et l es juristes s’accordent à dire qu’une œuvre littéraire est formée de trois éléments : l’idée, la composition et l’expression. L’idée seule n’étant pas protégeable par le droit d’auteur, la contrefaçon littéraire ne peut porter que sur la composition ou sur l’expression, ou sur les deux à la fois. En l’occurrence, l’accusation porte sur la composition. Ce terme désigne en effet l’essence, la trame, l’« histoire » en quelque sorte, et l’ensemble des éléments qui la forment : péripéties, enchaînement des événements, scènes, caractéristiques des personnages, etc. Pour déterminer s’il y a ou non contrefaçon de la composition d’une œuvre, il convient de découper le scénario du livre en un nombre de scènes clés et de comparer. L’affaire Autant en emporte le vent qui a opposé Régine Deforges aux héritiers de Margaret Mitchell fournit un assez bon exemple de cette méthode, fréquemment employée en justice. Les diverses juridictions qui sont intervenues dans cette affaire ont analysé notamment les caractères des personnages, la toile de fond, le contexte, les situations et les scènes des deux romans. En décembre 1993, la cour d’appel de Versailles a estimé en dernier lieu que l’ensemble des éléments du roman de Régine Deforges était imposé par le contexte librement choisi de la Seconde Guerre mondiale. Quant à certains éléments communs, les juges les ont considérés tout au plus comme des idées de libre parcours, par conséquent non appropriables et ne pouvant être revendiquées par les héritiers Mitchell. Les tribunaux doivent donc faire le compte des éléments communs et déterminer si leur présence relève du pillage ou est imposée par le sujet choisi. On ne peut pas, par exemple, interdire à un romancier situant l’action de son livre en Afrique du Nord d’y incorporer une scène dans un souk. De même existe-t-il des exceptions dues au fonds commun de la littérature, des éléments devenus si banals qu’ils ne peuvent plus présenter d’originalité que dans leur expression. Ainsi, dès le début du xx e siècle, un tribunal a justement rappelé que Courteline ne pouvait s’approprier le thème du mari qui fait preuve de faiblesse vis-à-vis de sa femme adultère. Un processus semblable frappe, par exemple, les livres historiques dont l’auteur a décidé de suivre, le plus simplement qui soit, un plan chronologique. Un guide de la chasse en France a, en revanche, été considéré comme contrefait par un article qui reprenait, selon le même ordonnancement, les « différents types de chasse à la journée sur l’ensemble des territoires français ».  Christian Janssen devra prouver l’antériorité de son manuscrit sur celui de Patrick Roegiers, avant de pouvoir demander de procéder à un examen comparé et minutieux des deux textes.
15.10 2013

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