Entretien

Pourquoi Albin Michel rachète des librairies

Francis Esménard - Photo O. Dion

Pourquoi Albin Michel rachète des librairies

En reprenant fin décembre 5 des 52 librairies à céder dans le cadre de la liquidation judiciaire de Chapitre, le groupe d’édition indépendant Albin Michel a créé la surprise. Son P-DG, Francis Esménard, explique les raisons qui l’ont conduit à faire ces offres et la façon dont il compte organiser ce nouveau pôle d’activité.

Par Clarisse Normand
Créé le 10.01.2014 à 08h24 ,
Mis à jour le 21.02.2022 à 11h21

Livres Hebdo - Pourquoi, à l’heure où certains prédisent la fin des librairies, investissez-vous dans ce secteur ?

Francis Esménard - Ceux qui croient que c’est un investissement de grand capitaliste se trompent. Notre motivation n’est pas de gagner de l’argent, mais de participer à la sauvegarde de librairies installées dans des grandes villes de province. Si ces dernières venaient à disparaître, que deviendrait Albin Michel ?

La maison a-t-elle déjà possédé des librairies ?

Il n’y a eu qu’une courte période, de 1902 à 1907, durant laquelle la maison a exercé la double activité de libraire et d’éditeur. Ayant débuté sa carrière comme libraire dans les années 1890, pour Flammarion à Odéon puis dans le quartier de l’Opéra, Albin Michel a créé sa propre librairie en 1897, avant de se lancer en 1902 dans l’édition et de s’y consacrer pleinement et exclusivement à partir de 1907.

Dans le cadre de la première vague de cessions organisée fin décembre, vous avez repris cinq librairies Chapitre. Aujourd’hui, on entend dire que vous seriez candidat pour en reprendre d’autres. Combien de magasins envisagez-vous de racheter ?

Nous sommes intéressés par les établissements de Clermont-Ferrand, de Brive et de Reims. Mais pas à n’importe quelles conditions.

Si nous n’avons pas encore déposé de candidature, c’est parce que les critères actuels de reprise ne nous conviennent pas. Tant que ces critères ne changeront pas, nous nous abstiendrons de présenter une offre. De toute façon, nous n’avons pas l’intention d’élargir encore beaucoup notre périmètre dans le secteur de la librairie.

Quels critères ont prévalu au choix des magasins que vous avez repris ?

Nous avons racheté les établissements qui correspondaient le mieux à ce que doit être, selon nous, une bonne librairie. Le premier critère concerne le personnel, à savoir le directeur et son équipe. Mais il y a aussi des ratios économiques dont il ne faut pas s’éloigner. Le loyer, par exemple, ne doit guère dépasser la barre des 5 % du chiffre d’affaires et les frais de personnel celle des 15 %. Nous avons aussi été très attentifs à l’emplacement des magasins.

Etes-vous propriétaire des murs des librairies ?

Ce serait l’idéal mais ce n’est pas le cas, puisque Najafi, le fonds d’investissement américain qui a racheté les librairies Chapitre en 2011, a liquidé tout l’immobilier existant.

Quel est le montant de l’investissement consacré à ces rachats ?

Je ne tiens pas à dévoiler ce chiffre. Quoi qu’il en soit, au-delà de l’investissement initial, il convient de tenir compte aussi des dépenses concernant la reconstitution des stocks et la rénovation de certains magasins, à commencer par celui de Paris, boulevard Saint-Germain, ou encore celui de Lorient.

Ces investissements viendront-ils en déduction de la contribution exceptionnelle que les éditeurs sont censés apporter à la librairie pour un montant de 7 millions d’euros ?

La question mérite réflexion car on ne peut pas donner partout. Albin Michel cotise déjà à l’Adelc et au CNL. On sait par ailleurs que les éditeurs ne pourront pas profiter de la baisse de TVA de 5,5 % à 5 % pour financer une partie de la contribution exceptionnelle dont vous parlez. Comme tout le monde, on a un budget et il faut faire des choix pour le tenir.

Etes-vous en train de constituer une chaîne de librairies ?

Non ! On ne va pas refaire une chaîne. D’ailleurs, il ne devrait pas y avoir d’enseigne commune. Nous réfléchissons plutôt aux possibilités de reprendre les noms d’origine des librairies quand ceux-ci ont un sens et une notoriété dans leur localité. Par ailleurs, chaque responsable de magasin sera autonome, tant dans ses achats que dans sa gestion et sa comptabilité. La notion d’autonomie est très importante et devra être réintroduite dans les mentalités. Le fait de reprendre des libraires qui ont déjà été indépendantes avec des directeurs de magasin qui ont eux aussi déjà travaillé comme indépendants devrait faciliter les choses. Pour autant, si l’on peut apporter de nouvelles méthodes de travail, notamment pour développer les débouchés dans le numérique, nous le ferons. Il ne faut pas laisser Amazon s’emparer du marché.

Quelles sont les priorités d’actions pour les librairies que vous reprenez ?

En premier lieu, il va falloir changer les logiciels de gestion et sans doute choisir le même pour toutes les libraires. Mais il faut aussi très vite reconstituer les stocks. Par ailleurs, pour certains magasins, nous devons procéder à des renégociations, notamment en ce qui concerne les baux commerciaux. Je pense notamment à la librairie Julliard, située boulevard Saint-Germain à Paris (6e), dont le bailleur Axa entend tripler le montant.

Comment va s’organiser ce nouveau pôle d’activité au sein de la maison ? Qui va le diriger ?

Le rachat est réalisé par notre holding, SHP, et chaque librairie sera constituée en SNC (société en nom collectif) pour des raisons fiscales. L’objectif est de constituer une sorte de réseau au sein duquel les responsables de magasin seront autonomes, même si l’ensemble est chapeauté par une personne qui fera le lien avec notre maison d’édition. Son nom sera communiqué d’ici à la fin du mois.

Comment entendez-vous financer vos investissements en librairie ? Les bons résultats enregistrés en 2013 ont-ils favorisé votre démarche ?

C’est vrai, l’année qui s’achève a été particulièrement bonne pour Albin Michel, avec notamment l’obtention du prix Goncourt pour Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre, et du prix du Meilleur livre étranger pour L’enfant de l’étranger d’Alan Hollinghurst, ou encore la parution de Docteur Sleep de Stephen King… Pour autant, ces résultats n’ont pas joué dans notre décision. Ils ne serviront d’ailleurs pas à financer nos investissements. Pour cela, nous allons faire appel aux banques… et déposer un dossier d’aide auprès de l’Adelc et du CNL.

Comment voyez-vous l’année qui commence ?

Albin Michel a la chance d’avoir des auteurs à succès, comme Amélie Nothomb ou Eric-Emmanuel Schmitt qui produisent un livre quasiment chaque année. En outre, au premier semestre, nous allons faire paraître une trilogie de Katherine Pancol dont les derniers ouvrages se sont vendus à plus d’un million d’exemplaires. Cela nous permet de penser que 2014 devrait encore être une année acceptable.

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