3 mai > Essai France > Amine Boukerche

Il y a toujours profit à relire Tocqueville. Amine Boukerche l’a fait avec précision en s’intéressant à l’Algérie. L’auteur de De la démocratie en Amérique s’y est rendu en 1841 et en 1846. Et c’est à l’aune de son expérience américaine qu’il observe "comme historien, anthropologue, sociologue, économiste et homme politique" ce qui s’y déroule. On peut retrouver tous ses textes dans le recueil Sur l’Algérie (Flammarion, "GF", 2003), mais il faut surtout lire ce qu’en dit Amine Boukerche dans cet essai qui évite tous les pièges du genre. Car le sujet est miné. Mais ce professeur de philosophie sait habilement contourner les obstacles pour montrer les fulgurances et débusquer les errances aussi.

"Tocqueville, qui avait vu les ravages causés par la colonisation en Amérique, voulait éviter cela aux Français. Les fautes commises par les Européens sur les Indiens et les Noirs continuent d’avoir des conséquences dans l’Amérique d’aujourd’hui." Mais alors, pourquoi soutient-il la colonisation, même s’il la souhaite "partielle"? C’est pour lutter contre l’Angleterre qui, elle aussi, veut consolider son empire.

Si l’on évite la lecture téléo-logique de l’histoire et si on se méfie des anachronismes, il reste de Tocqueville sur l’Algérie un témoignage irremplaçable. Celui de la violence coloniale d’abord, notamment celle des militaires. "Nous avons retrouvé ce sentiment imbécile dans tous les grades." Celui de l’incompréhension d’un pays avec sa culture, ses langues et ses diverses tribus arabes. De la présence ottomane, les Français ne garderont que le bâton. Tocqueville met en garde. "Ne recommençons pas, en plein XIXe siècle, l’histoire de la conquête de l’Amérique. N’imitons pas de sanglants exemples que l’opinion du genre humain a flétris. Songeons que nous serions mille fois moins excusables que ceux qui ont eu jadis le malheur de les donner ; car nous avons de moins qu’eux le fanatisme, et de plus les principes et les lumières que la Révolution française a répandus dans le monde."

Ce n’est pas De la démocratie en Algérie, plutôt De la démocratie française en Algérie ou comment elle dysfonctionne lorsqu’elle veut dominer un peuple pour l’assujettir. Si les dirigeants avaient suivi Tocqueville, il est probable que la séparation des deux pays eût été moins violente. Mais soyons prudents. En refaisant l’histoire avec des scies, on ne sait jamais ce qu’on coupe. Laurent Lemire

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