Prix du livre numérique : une loi de sécurité ?

Prix du livre numérique : une loi de sécurité ?

Tous les éditeurs apprécient la loi sur le prix du livre numérique pour la sécurité qu'elle leur offre. Mais ils ne sont pas tous prêts à l'utiliser à la place des contrats de mandat, alors que les libraires les trouvent trop contraignants.

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Par Hervé Hugueny,
avec Créé le 15.04.2015 à 23h36 ,
Mis à jour le 23.04.2015 à 10h06

Photo OLIVIER DION

Occupé par divers problèmes de crise financière, le Premier ministre n'avait pas encore eu le temps, à l'heure où nous mettions sous presse, de signer les décrets d'application de la loi du 26 mai 2011 sur le prix du livre numérique. Mais ce n'est qu'une question de jours, tous les autres représentants du gouvernement concernés, dont le ministre de la Culture, ayant apposé leur paraphe. Et maintenant que le principe est acquis, l'application formelle de ce texte qui a suscité tellement de discussions apparaîtrait presque comme un non-événement. Le président du SNE doit même rappeler qu'il serait dangereux de ne pas utiliser cette réglementation (voir p. 12-14) dont la France doit prouver la nécessité face à Bruxelles.

UN DEUXIÈME FILET DE SÉCURITÉ

Car si tous les éditeurs s'en disent satisfaits, certains d'entre eux ne voient pas l'utilité de remplacer les contrats de mandat qui remplissent la même finalité que la loi. "Avec le contrat, les prix sont déjà sous la responsabilité de l'éditeur. La loi ne change rien formellement et sur le fond. Elle a une portée politique et sert à cadrer le débat", estimait fin octobre Francis Lang, directeur commercial d'Hachette Livre. Le groupe continuera donc à proposer ses contrats aux libraires et autres revendeurs à venir dans ce nouveau circuit.

"La loi est un deuxième filet de sécurité, si la Commission européenne décidait pour des raisons juridiques que le contrat de mandat n'est pas valable", anticipe Alexis Esménard, directeur du développement numérique d'Albin Michel. Le groupe, qui propose actuellement 1 500 ebooks et en rajoutera 500 à 600 d'ici à la fin de l'année, ne prévoit pas non plus de remplacer les contrats de mandat par des conditions générales de vente (CGV), ni maintenant ni à leur échéance.

Car à l'usage, ce contrat se révèle plein de qualités, vu du côté du mandant. "Pour qu'un tel accord soit juridiquement incontestable devant les autorités de la concurrence, le revendeur ne doit formuler aucune exigence, si minime soit-elle : il n'y a aucun déplacement possible du pouvoir de décision de l'éditeur", insistait Patrick Gambache, responsable du développement numérique du groupe La Martinière au moment des ultimes négociations avec Amazon. Ce qui fut bien pratique pour résister au cybermarchand américain, alors qu'il tentait de contraindre les éditeurs à adopter au moins une grille de prix en paliers. D'autre part, le champ de la loi, volontairement limité aux ebooks homothétiques du livre papier, ne couvre pas les livres enrichis que certains éditeurs, tel Albin Michel, commencent à proposer.

En revanche, Actes Sud passera aux CGV, sans y voir de grand bouleversement : "Les dispositions des contrats pourront passer dans les conditions générales de ventes, qui seront essentiellement d'ordre qualitatif, autour de la mise en avant des liens entre l'offre papier et numérique, la qualité du moteur de recherche, la défense de la politique d'auteur", explique Laetitia Ruaut, directrice commerciale de la maison. Actes Sud propose actuellement une centaine de livres numérisés, et en ajoutera 50 à 100 par mois à partir de 2012. Editis discutait de cette option entre contrat et CGV en début de semaine. Pour Flammarion, "les contrats de mandat négociés jusqu'ici resteront en vigueur jusqu'à leur terme", indique Teresa Cremisi, P-DG du groupe, qui remercie les pouvoirs publics d'avoir "pris à coeur la défense de la création, malgré les freins de la réglementation européenne".

Pour le ministère de la Culture, qui a sollicité l'avis de l'Autorité de la concurrence, réuni les professionnels du livre afin de produire un texte validé par tous, puis pour les députés et sénateurs qui se sont empoignés à propos de l'extraterritorialité de la loi et des droits numériques des auteurs, il y a en effet de quoi s'interroger sur le sens de ces efforts. Mais en son temps, la loi Lang, aujourd'hui si évidente, avait été promulguée dans un contexte bien moins consensuel, même parmi les éditeurs.

DÉMINER

Les efforts du ministère n'ont pas été vains pour déminer le terrain du côté de la Commission européenne. Celle-ci a laissé passer le délai du 26 octobre dernier sans émettre d'avis contre les décrets, alors qu'elle s'était montrée très critique sur la loi elle-même. Jugé comme un signe encourageant au ministère de la Culture, ce silence a dégagé le terrain pour une application rapide de la loi, et laisse espérer une suite relativement sereine, alors qu'une mise en demeure de la France était jugée inéluctable avant l'été. Satisfaite de la réponse très argumentée du Service du livre et de la lecture, la DG Entreprises considère qu'elle n'a plus rien à ajouter, et a passé le dossier à la DG Marché intérieur, dirigée par Michel Barnier, un commissaire français qui devrait être sensible à la nécessité de ce texte. Le seul risque juridique viendrait maintenant d'une mise en cause par un revendeur insatisfait de ne pouvoir user de la liberté tarifaire pour bousculer le marché - comme en 1981 avec la loi Lang.

Les libraires au contraire attendent l'application du texte avec impatience. Car dans le cadre du contrat de mandat, "le mandataire n'a aucune marge de manoeuvre, aucune autonomie dans sa politique commerciale", >rappelle Guillaume Husson, secrétaire général du Syndicat de la librairie française (SLF). "Maintenant qu'il existe un autre dispositif pour régler la question du prix, maintenir le contrat de mandat ne présente plus que des inconvénients pour les libraires, qui ne peuvent plus exercer leur métier, définir et présenter leur offre numérique comme ils l'entendent." Mais jusqu'à maintenant aucun éditeur n'a entrepris d'invoquer ce pouvoir pour intervenir dans la vente de ses ebooks chez un libraire. La maîtrise des prix suffit à leur bonheur.

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